"La Guerre en forêt d'Argonne"

Bernhard Kellerman

Traduit de l'Allemand par Hervé CHAVANES

 

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Sommaire

- Avant propos -

Ce livre a deux vocations:

- Bâtir un monument pour le futur à la gloire des héroïques prussiens, würtembourgeois et troupes hessoises, qui depuis les premiers jours de septembre 1914 combattirent en Forêt d'Argonne avec un courage, une ténacité et une endurance incomparables.

- Pour leurs enfants et leurs petits enfants. Ils doivent savoir dans les foyers ce que vécu le combattant de l'Argonne, quelles actions il a brisé. Comment officiers, sous-officiers et hommes de troupe, sans crainte et fidèles au calme et lourd accomplissement de leur devoir, luttèrent, saignèrent et moururent.

Comme les Flandres et Arras, comme la Champagne, la côte de Lorraine et les Vosges, la Forêt d'Argonne est un sol sacré. Sanctifié par le noble sang allemand. de lourds sacrifices durent être faits sur ces sanglants champs de bataille du front de l'Ouest. Et pourtant, les combats dans la Forêt d'Argonne ont quelque chose de plus important. Jour après jour, mois après mois, année après année, les mêmes combats furieux et acharnés, hommes contre hommes, à faible distance l'un de l'autre, avec des mines et des engins explosifs, des canons de tranchée et des mitrailleuses, des carabines, des couteaux et des baïonnettes. Ailleurs, les troupes vivaient de fréquents renversements de situation, mais pas dans la Forêt d'Argonne. A chaque soldat revient de droit un titra militaire honorifique. C'est pourquoi cette courte oeuvre doit être une page de souvenirs pour les autres, pour tous ceux qui souhaitent un retour chanceux, également pour les parents et les amis des fidèles camarades qui sont tombés. Tous ceux qui ont engagé leur corps et leur vie en Forêt d'Argonne pour le Kaïser et l'Empire ont gagné des lauriers impérissables.

Wilhelm, Kronprinz

 

 

- La Forêt d'Argonne -

Il pleut à verse. Les nuages gris déversent des trombes d'eau. Les arbres bruissent dans le vent et répandent des cascades d'eau à leurs pieds. Les chemins sont argileux, les ruisseaux dévalent violemment les pentes. C'est l'été, mais dans les abris les poêles sont allumés.

C'est la Forêt d'Argonne.

Elle ne se dissimule pas mais ne montre pas son vrai visage. C'est une Forêt comme le Spessart et les forêts tchèques, une forêt pour les charbonniers, les bandes de brigands et les sangliers. La Forêt a sa présence, cela on ne peut pas le contester. La Forêt a son passé, c'est sûr. On y pénétrait et on n'en revenait jamais, on faisait un signe de croix et l'on mourrait. Dans l'obscurité, l'assassin guettait.
Il y a dans cette forêt des lieux qui portent des noms étranges: "La Fille morte", "L'homme mort".

Voilà ce qu'il en est.

Mais cet obscur passé marqué par le brigandage est idyllique comparé à aujourd'hui -

Vous allez le comprendre...

Des voitures automobiles cahotent dans la Forêt. Des chevaux avec des cavaliers ruisselants sont attelés en renforts. Ils s'enfoncent de plus en plus profondément dans la Forêt. La pluie tombe à sceaux. Chevaux et cavaliers y disparaissent. Non, cette forêt n'est pas une forêt pour des hommes ! De hauts arbres isolés, des chênes pour la plupart, puis des sous-bois épais, chênes, hêtres, bouleaux, aulnes, et dessous, des fourrés: mûres sauvages, arbustes épineux, fougères, genêts, plantes grimpantes. Un réseau naturel de barbelés, comme on ne pourrait pas en installer de plus malicieux. C'est une forêt pour un diable poilu, sorte de gorille qui combattrait les taillis un gourdin à la main. Les chevaux allongent leurs cuisses brillantes, s'enfoncent dans la glaise et l'eau de plus en plus profondément. Parfois, ils se dételaient, alors les charrettes roulaient toutes seules sur les rails. Nuits et jours les charrettes faisaient du vacarme dans toute la Forêt. Des cuisines roulantes, des convois de munitions, de grenades, de mines. Les convois reviennent ensuite avec des caisses de munitions vides, des corbeilles à obus vides. Elles seront rangées à la station dans la Forêt. Un convoi d'hommes de troupes roule dans la vallée. Ils se tiennent debout dans la petite charrette. Ils sont fatigués, épuisés, sales, leurs bras et leurs têtes sont pansés. Ce sont des blessés des tranchées situées là-haut. Chaque jour la Forêt engloutit des hommes. L'un d'eux gît recouvert de la couverture d'un cheval. On ne distingue que les formes des hommes. La pluie détrempe les blessés mais cela ne les préoccupe pas. Quant à celui qui dort sous la couverture, la pluie et toutes les forces de l'Enfer ne pourraient avoir d'emprise sur lui. Et la Forêt continue son vacarme. Les obus explosent comme des coups de tonnerre. Des chemins en rondins s'étirent à travers la Forêt, par endroits les rondins sont serrés l'un contre l'autre, à d'autres endroits ce ne serait pas possible, ici il faut faire un pas. Un trou d'obus. Des arbres déchiquetés. des chênes de la grosseur d'un homme ; l'obus les a touché au milieu, les a déchiquetés et les a fait tomber sur le sol. Ils restent là et meurent. Ici, il y a d'étranges tumulus, au milieu de la Forêt, des collines de pierres et de terre. ce sont des batteries. Grises, elles sont là sous la pluie et la brume. Mais dans les tumulus habitent des hommes. des Artilleurs, des Pionniers. La dessous, la lampe brille, bien qu'il fasse jour. Ils campent ici depuis déjà de nombreux mois, depuis la fin septembre 1914, quelques mètres sous terre, une couche de poutres et de pierres au dessus d'eux. Le téléphone sonne. Ils servent aux canons, sont à l'assaut dans les tranchées ou dans les galeries de mines. Leurs pensées, leurs projets, leurs femmes, ils ont tout abandonné, quoi qu'il arrive, ils resteront à leurs postes. Une brume inquiétante envahit la Forêt. C'est une forêt de l'Enfer, pleine d'un bruit effrayant et jamais entendu. Elle tousse, l'effrayante toux d'un monstre habitant les ravins. Elle rit d'une voix rauque et haletante comme un diable qui fait de terrifiantes plaisanteries. des piverts géants tapent. Cela frappe comme le lourd marteau du forgeron qui ne serait pas utilisé par un homme mais par un cyclope. Ils jurent au travail, crient et font du vacarme. Parfois, ils frappent de telle façon "un, deux" dans le tronc du chêne dur comme fer que les collines en résonnent. Le chêne tombe avec fracas. Comme si le cyclope l'avait brisé entre ses mains et l'avait jeté dans le feu. Tout delà, on l'entend, véritablement, mais on ne voit pas le borgne. De temps à autre, un oiseau fantôme invisible passe au dessus de la Forêt bourdonnante. Un obus. Que Dieu m'assiste, cette forêt est horrible. Un homme sort des taillis. Ses bottes sont pleines de glaise, ses vêtements sont sales et mouillés. A la ceinture pendent bidons, musettes et cartouchières en cuir, et à l'épaule le fusil. Sa figure est marron foncé, enduite de glaise, rongée par les intempéries, les yeux y sont comme deux lampes. C'est un Feldgrau, qui vient des tranchées situées là-haut. Le combattant de l'Argonne tel qu'il vit. Il disparaît sous la pluie. Ce sont eux les acteurs de ce spectacle diabolique, pas de cyclopes, mais de petits hommes. Ici et là, se trouve un observatoire d'Artillerie dans la cime d'un haut chêne. Les observateurs d'Artillerie guettent là-haut. Les chênes bruissaient dans le vent et ils vacillent. Devant se trouve la butte de Vauquois. Tout ceci nous appartient, là-haut se trouve l'ennemi. Dans la vallée, le village de Boureuilles. On voit à l'oeil nu le réseau des barbelés des Français, ils se trouvent dans la vallée, derrière le village. Mais sur la droite, se tiennent les hauteurs. Elles sont nues, dégagées ! Pas un tronc, pas une feuille. Les arbres sont écrasés, carbonisés, déchiquetés, le sous-bois a totalement disparu. La terre est retournée, mille fois minée et déchirée, pleine de débris et de poussière. Les volcans sont comme des volcans éteints. Ici se trouvent des tranchées et des sapes, et au cours des longs mois de combat, tout ce qui verdoyait disparu. Une mitrailleuse crépite, les projectiles explosent. Sans un moment de répit, les hauteurs sont conquises. Un canon lourd fait feu. Il détone comme un coup de tonnerre et l'écho propage le vacarme dans les ravins. Respire l'air, ne sens tu rien ? Cela sent comme dans les couloirs d'un hôpital. Cela sent le chlore et d'autres choses. Cette odeur, on la sent si on se rapproche de la Forêt d'Argonne. La Forêt entière, pleine d'humidité, s'est imprégnée de cette odeur. Elle provient des obus à gaz et des tranchées remplies de chlorate de chaux. Terrifiant. Cette Forêt est l'un des chapitres les plus horribles de cette guerre. Officiers et soldats, leurs actions sont immortelles.

 

- Après le chute de Longwy -

 

Dans les premiers jours de septembre, cinq semaines après la mobilisation, les troupes découvrirent la Forêt d'Argonne. Le Kronprinz encerclait Longwy. Les canons tonnaient. De la ville assiégée montait une épaisse fumée et les obus du 21ème Régiment d'Artillerie martelaient les bastions et les casemates. La forteresse crachait la mort et le feu. Longwy brûlait, mais ne capitulait pas. Longwy tenait. Mais l'armée avançait droit devant, vers le Sud, vers le Sud-Ouest. Elle était pressée, ne pouvait pas s'attarder sur Longwy. De chaque côtés de la route Longwy-Longuyon elle renversa l'ennemi. Des fusils, des havresacs, des fusils jonchaient la route. Les morts se trouvaient dans les champs. L'armée avançait ! Elle pris Longuyon. Chaque jour, chaque heure c'était la mort et la victoire. L'armée était en route, d'un pas de fer. Elle piétinait l'adversaire. Le soleil était rouge, les jours et les nuits étaient torrides. Elle avançait comme un raz de marée, absorbant les bataillons français. elle écrasait les villages et les villes. Elle engloutit la forteresse de Montmédy qui faisait la gloire de l'ennemi. Elle s'abat violemment sur les vallées, monte sur les collines sans chercher à reprendre son souffle. Les canons pilonnaient Longwy et frappaient au Sud, devant Verdun. Longwy tomba, le 27 août. L'armée poursuivit sa progression. Elle traversa la Meuse. Ses colonnes recouvraient le pays, les routes et les chemins. Les lignes de tranchées étaient élaborées à toute vitesse, sur les pentes et les collines, autour des ruisseaux, vers l'avant ! Les canons tiraient. Les obus mugissaient au dessus des cuisines roulantes et des unités en chemin, indiquant la direction dans laquelle se trouvait l'ennemi. Des panaches de fumée des obus tirés s'élevaient dans les champs, les nuages de fumée blanche s'immobilisaient dans le ciel. En avant ! Le régiment s'embrasait ! Sur les routes, s'étiraient sur quatre colonnes: l'Infanterie, ardente, poussiéreuse, chantant d'un pas pressé ; l'Artillerie, la Cavalerie, les Pionniers, les colonnes de munitions, des cuisines roulantes, des autos. La terre retentissait, des nuages de poussière montaient du champ de bataille et de la Forêt. Les batteries cliquetaient dans les champs, visaient et tiraient. Il n'y avait aucun répit. Lorsque la nuit tombait, alors les officiers et les hommes s'allongeaient sur la terre pour quelques heures avant de reprendre le combat. Les villages disparaissaient dans les flammes. Dun brûlait. Cela faisait comme un grand flambeau dans la nuit. Les vagues d'Infanterie se trouvaient à l'avant. Les canons tonnaient, les avions vrombissaient dans le ciel. Au dessus se trouvait une rivière, large, sinueuse, ensoleillée et brûlante: la Meuse. L'ennemi a fait sauter le pont. Les Pionniers y travaillent. La Forêt et les hauteurs boisées apparaissent. Qui s'informe sur cette Forêt et ces hauteurs ? Personne. C'est l'Argonne ! Plus tard, ils la reverront mais aujourd'hui ils ne s 'y attardent pas ! Il faut pousser plus loin ! L'armée traverse l'Argonne. A l'Est de la Forêt, par Apremont, Varennes et Clermont et à l'Ouest par Autry, Binarville, Vienne le Château et Sainte Ménéhould. Quelques patrouilles rentrent dans la Forêt, la nettoient des français dispersés. Une patrouille atteint la cote 285 ! Elle ne pensait pas qu'elle reverrait cette colline. En avant, toujours en avant ! Le soleil brille, la sueur coule sur le visage des hommes. La mort fauche hommes et officiers, la mitraille tombe sur les colonnes. Les pertes sont lourdes. A Vaubécourt et Triaucourt, au sud de la Forêt d'Argonne, c'est un véritable enfer. La canonnade fait rage. Droit devant ! De nouveau la fusillade, véritable vague devant l'armée. Le pas de l'armée est irrésistible. L'ennemi sera renversé, il se cramponne. Le flot de l'armée le pousse devant elle. En avant, en avant ! Direction Bar-le-Duc, Revigny ! L'armée avance à pas victorieux !

 

- En retraite ! -

 

Soudain, L'armée s'arrête ! Depuis des semaines, elle ne cessait d'avancer, quotidiennement, heure par heure, par dessus les collines et les fleuves, à travers le feu et le sang. Dans ses étendards, frémissait la gloire ! Les canons sont brûlants à force de tirer, les yeux, les centaines de milliers d'yeux de L'armée sont rouges. Et soudain, L'armée s'arrête ! La vague de feu ne progresse plus, elle s'arrête, les canons frappent de la même place. Que se passe-t-il ? Personne ne le sait. Les colonnes de derrière changent de direction ! Les régiments en plein élan, avides de gloire, font halte. Les lourds canons sont démontés, ramenés vers l'arrière. Les cuisines roulantes s'éloignent ainsi que les postes de secours et les hôpitaux militaires. Les colonnes se mettent en branle, sur les routes et à travers les champs, large serpent sans fin. Les hommes trépignent, compagnies et bataillons se replient. Les voitures, les colonnes se répandent sur tous les chemins, dans tous les villages et hameaux. Qu'est ce que cela signifie ? l'armée bat en retraite. Pour quelle raison ? Personne ne le sait. Les colonnes de blessés avancent en courbant l'échine. Les blessés gémissent et se lamentent. On les sort des granges, des écoles, des églises et on les couche sur les charrettes. Ils ne savent pas ce qui leur arrive. artillerie, Infanterie et Cavalerie se pressent, serrés. Les autos se frayant un chemin à travers les colonnes et les véhicules. Commandements, cris, Klaxons. Les roues craquent, les attelages se précipitent. Du bruit, des jurons. La pluie ruisselle. Depuis des semaines, le soleil était ardent, maintenant il pleut à verse. Hommes et officiers s'étendent dans la boue pour se reposer une heure. l'armée lamine tout avec ses centaines de pieds, de sabots et de roues. Les régiments grincent des dents. Pour quelle raison ? Ils triomphaient, le pays tremblait sous leurs assauts, l'ennemi était repoussé, là où il se trouvait encore, ils les en chassaient hauteur après hauteur, village après village, cours d'eau après cours d'eau. Hier encore, dans la nuit du 9 au 10 septembre ils l'avaient battu. Pourquoi cette retraite ? Ils sont de mauvaise humeur, d'une humeur de chien. Ils ne sont pas habitués à battre en retraite. Et la pluie continue de tomber. Des cadavres de chevaux bordent la route. des autos accidentées, retournées, des autos en feu, des canons déchiquetés, des selles, des havresacs, des fusils. l'armée doit se replier dans un lit de boue. Et l'ennemi ? Il ne suit pas. Il ne se risque pas à suivre cette armée qui l'a chassé pendant des semaines. Pendant plus d'une semaine il n'ose rien faire. Clermont, Ste Ménéhould, la butte de Vauquois, le clocher de Montfaucon, ils y sont de nouveau. Le visage des officiers et des hommes est sombre. Là-bas, les colonnes de véhicules, monotones, moroses, le pas des régiments claque dans la boue de la route. Au loin, les canons tonnent. Ils s'en vont, le coeur plein de rage et d'amertume. Pas un chant, pas un sourire. Ils s'en vont parce que ce sont les ordres. Sans aucun autre motif. Et la pluie continue de battre.

 

- La Forêt -

C'est également de nouveau cette forêt, cette forêt vallonnées, à travers laquelle l'armée passe en un grondement, sans la prendre en considération. La Forêt fume sous la pluie et les nuages se fendent en long sur les sombres hauteurs. L'eau clapote dans les ruisseaux en cru. Voici de nouveau Varennes, Apremont, Vienne le Château. Les interminables colonnes de véhicules s'arrêtent. Les régiments font halte. Le feu reprend. Les batteries s'installent dans les champs, lancent des éclairs et tonnent. Une lueur apparaît dans le regard des hommes. Enfin ! Les régiments se mettent en position. Enfin des vues sur l'ennemi ! Les fusils sont chargés. Les Artilleurs sont à leurs pièces prêts à tirer au signal. Alors ! donnez l'ordre général ! Ils veulent les renverser à nouveau, comme ils l'avaient fait pendant des semaines. Ils veulent les chasser au delà de Bar-le-duc. Après demain, ils veulent y être de nouveau, là où ils étaient il y a une semaine. Les premiers obus explosent. Les shrapnels crèvent l'air. Le coeur bat de plus en plus vite, Dieu soit loué, la situation se rétablie ! Qu'on donne l'ordre d'attaquer ! Tous les yeux sont fixés sur le visage des officiers. Le 22, l'ennemi ose s'approcher le premier. Il sera repoussé vers Varennes et Vauquois. Dans l'assaut, Varennes sera reconquis. Et maintenant, droit devant ! Demain, ils veulent avoir laissé dans leur dos cette forêt, cela ils le jurent. Des patrouilles sont envoyées dans la Forêt. Quelle Forêt ! C'est une forêt vierge. Elles avancent sur des chemins détrempés et argileux. Elles sont fauchés par le feu dans les broussailles. Elles se faufilent le long d'étroits sentiers. Les balles sifflent. La patrouille s'enfonce sous les sous-bois. Elle ne reviendra pas... L'ennemi est dans le Forêt ! A l'Est de la Forêt, de Montblainville à Varennes, les éclaireurs attaquent, ainsi qu'à Binarville à l'Ouest. Dans les sous-bois cela crépite, les fusils claquent, les hommes tombent et ne se relèvent pas. Une branche craque et les balles sifflent. Qu'est ce que c'est ? C'est une forêt hantée ! Les puissantes forces ennemies sont dans la Forêt. Deux bataillons reçoivent l'ordre de la nettoyer des forces ennemies. Deux bataillons ! Ils pénètrent en colonnes dans la Forêt. Ici, il y a de mauvais chemins de débardage, des chemins forestiers. Ici, il y a d'étroits sentiers et des layons d'affût pour les chasseurs. Les fourrés sont impénétrables. Les colonnes se mettent en marche. Chassent le long des chemins. Soudain une salve tirée depuis les buissons. A plat ventre ! Plusieurs camarades restent à terre et ne se relèveront jamais. Ils tâtonnent sous les sous-bois: soudain une mitrailleuse crépite ! Le diable est-il dans la Forêt ? Les bataillons n'avancent plus. Ce ne sont pas des postes avancés qui sont là dans les fourrés mais une armée ! Deux bataillons contre une armée ! L'ennemi a installé dans la Forêt des forces puissantes et insoupçonnées. De Ste Ménéhould à Clermont, elle les a installé sur les collines et dans la Forêt, encerclant la moitié de celle-ci, comme un fer à cheval, à l'ouest, au nord, à l'est. A l'ouest de l'Argonne se trouve l'armée voisine, engagée dans de fermes combats face à l'ennemi. Que l'on repousse ces troupes installées par l'ennemi dans la Forêt d'Argonne et l'on se retrouverait derrière la Forêt mais avec l'armée ennemie sur les flancs ! Deux corps d'armée, le 13ème et le 16ème reçoivent l'ordre de pénétrer dans la Forêt d'Argonne.

 

- La guerre dans la Forêt -

Et les combats dans la Forêt d'Argonne, "les combats de la Forêt" commencèrent. Mais il faut présenter cette forêt ! D'une longueur d'environ 40 kilomètres, elle s'étend pratiquement du nord au sud. Sa largeur est de 12 à 15 kilomètres. Un randonneur persévérant pourrait la traverser en trois ou quatre heures de bonne marche. Une forêt, mais pas comme toutes les forêts ; presque inviolée, une forêt vierge, un sous-bois si dense que même les chiens de chasse ne peuvent y pénétrer. Des collines de hauteur moyenne, des buttes rapprochées, des ravins profonds, des cours d'eau sinueux, des marécages au-dessus desquels s'accumule le brouillard. Des rivières l'encerclent. A l'est, l'Aire, à l'ouest l'Aisne. Dans ces rivières se déverse l'eau des collines boisées, les ruisseaux de la Forêt aux profonds méandres. Le long de ces cours d'eau aux lisières de la Forêt, se trouvent de misérables villages et de petits lopins de terre, bâtis au fil des siècles. Au nord se trouve Grandpré, à l'est Clermont et Varennes, ce même Varennes où Louis XVI fut arrêté dans sa fuite en 1789. Aujourd'hui Varennes est en ruines, mitraillée et brûlée. A l'ouest se trouvent Vienne-le-Château et Ste Ménéhould. Dans la forêt vallonnée, presque personne. Quelques vieux moulins, quelques hameaux pitoyables. Çà et là, quelques huttes de charbonniers oubliées. Des routes ? Les rares et plus ou moins bonnes routes entourent la Forêt, comme les rivières. Dans la Forêt même, mis à part les chemins de guet et les sentiers forestiers qui la plupart de l'année sont infréquentables, il existe quatre grandes voies défectueuses: au nord, celle d'Apremont à Binarville, celle de Binarville à Varennes, au centre celle de Vienne le Château à Clermont et celle de Clermont à Sainte Ménéhould au sud. L'unique grande route est celle de Vienne-le-Château à Clermont, qui tortille entre les buttes boisées à travers la vallée de la Biesme. A cela il faut encore ajouter la vieille voie romaine, qui n'est rien d'autre qu'un lamentable chemin forestier. Elle passe par les différents cols et atteint son plus haut point à la cote 285. Voici à quoi ressemble le terrain. A tel point qu'à l'écart des chemins et des sentiers le renard ne peut presque pas glisser à travers les fourrés. Là où la Forêt est un peu plus claire, on s'enfonce dans les marécages. C'est une forêt pour les animaux que les hommes effarouchent, une Forêt pour les renards, les loups et les sangliers. Les ducs de Bourgogne l'ont dit, les rois de France y avaient des sociétés de chasse. De cette époque là rien n'est resté, hormis quelques noms portés par quelques rendez-vous de chasse: Pavillon Saint Hubert, Bagatelle, dont il est encore question aujourd'hui. Chaque nom enfoui dans la Forêt, reçoit une nouvelle et terrible renommée. Les brigands se cachaient là et des bandes de francs-tireurs y avaient leur repaire en 1870. Aux alentours, on a bâti, cultivé ; c'est ensoleillé, habité, peuplé, gai, animé. La Forêt d'Argonne quant à elle demeure la même depuis des siècles, sauvage, sombre, inhabitée, terrifiante et silencieuse. Abandonnée aux animaux, aux averses, au brouillard et aux ruisseaux. Au lieu à frissons ! Difficilement praticable pour l'Infanterie, impossible pour la Cavalerie. L'Artillerie est sur de lamentables chemins forestiers, l'observation d'Artillerie est infiniment difficile. Il est à peine question de faire des reconnaissances aériennes. Mais l'armée engagea tout de même le combat ! La Forêt, les fourrés, les ravins, les marécages, toujours les mêmes paysages, même si la Forêt avait été habitée par le diable, l'armée n'aurait pas hésité. En avant ! Les régiments résonnent d'un bruit de fer ! A l'est, les bataillons attaquent avec force à Montblainville et Varennes, à l'ouest à Binarville. Ils pénètrent dans la Forêt, par de mauvais et ténébreux sentiers et chemins forestiers. Ils poussent en avant jusqu'à un chemin tortueux dont l'ennemi a été chassé par les patrouilles. Ici, la Forêt n'a pas encore l'aspect d'un Forêt vierge. Ils se répartissent de chaque côté d'étroites lignes de tir, prêts à l'attaque. La Forêt est calme, rien ne bouge, pas un animal, pas un oiseau mais déjà ça et là un fusil retenti. L'ennemi est proche ! Soudain, la Forêt se met à résonner d'un bruit de fer. Des tirs, des salves. Les balles sifflent parmi les tirailleurs, faisant écho. La Forêt si calme s'éveille soudain, elle se déchaîne, fait du tapage. L'ennemi est là ! Sus à l'ennemi ! A l'attaque ! Les premières lignes se jettent en avant, la Forêt résonne d'un bruit terrible. Les Feldgrau, qui avaient repoussé l'ennemi devant eux de Longwy jusqu'aux environs de Bar-le-duc, avancent comme des diables. Mais la première offensive échoue. Cela prouve que l'ennemi s'était retranché dans des positions fortifiées dans les broussailles. Ses retranchements sont camouflés dans les sous-bois, introuvables. A l'attaque ! Par petits groupes, les compagnies avancent, de chaque côté des chemins. Les réserves suivent en rangs serrés aussi loin que le sous-bois le permet. L'ennemi s'arrête dans une clairière dans une position fortifiée avancée. Soudain, une rafale ! De nouveau la Forêt résonne bruyamment. Mais la position est conquise. La Forêt d'Argonne boit le sang allemand. Cela se passait à la fin du mois de septembre. Les troupes qui depuis Varennes s'infiltraient là, repoussèrent l'ennemi jusqu'au milieu de la Forêt, jusqu'à la Biesme. Cette rivière prend sa source sur le versant sud de la Forêt d'Argonne, partage la moitié sud de la Forêt en deux parties, puis, au centre de l'Argonne, elle tourne vers l'ouest, vers Vienne-le-Château. En aval de ce village, la Biesme se jette dans l'Aisne. L'ennemi a été rejeté jusqu'au Four de Paris, à peu près là où la rivière s'incline vers l'ouest. Les troupes, qui s'étaient infiltré depuis Binarville au sud est et au sud, avaient repoussé l'ennemi jusqu'à trois kilomètres au nord de la Biesme. Une position ennemie forme encore un corn dans nos ligne: les fortins "Pavillon Bagatelle" et "Pavillon Saint Hubert". Ces positions fortifiées devraient être conquises et elle le seront. Homme contre homme, à la baïonnette et à coups de crosses. Des morts en quantités. Le combat fit rage pendant plusieurs jours. Bagatelle et Saint Hubert sont à nous maintenant. C'est la fin septembre, le début du mois d'octobre. Les troupes enivrées par leurs victoires de leur marche en avant voulaient renverser l'ennemi en deux ou trois jours. Ils se trompaient. Patience !

 

- Combat contre des fantômes -

La Forêt se tait. La Forêt murmure dans le vente du matin. LA Forêt bruit dans la tourmente de la nuit. Et elle se tait de nouveau, un silence effrayant. Pas un animal, pas un homme, pas un bruit. Et pourtant, l'ennemi y pullule. Des milliers de bouches à feu sont aux aguets. On n'avance plus droit devant, la baïonnette au canon comme autrefois. Non, ce n'est plus comme cela. Le soldat ne pourrait plus se jeter à terre devant les balles. La victoire ou la mort. La Forêt était un réseau de barbelés, une barre de barbelés, installés par le diable. Le sous-bois était si touffu, qu'un oiseau pourrait à peine s'y faufiler. De plus, ce sous-bois était envahi par les épines et les broussailles. Il était impossible d'avancer en formation groupée, là où un homme seul devait se frayer un chemin au couteau. On ne pouvait y pénétrer qu'en petits détachements. Ils rampaient à travers les broussailles comme des indiens, glissaient et pataugeaient dans le boue. Les épines transperçaient leurs habits et griffaient leur visage et leurs mains. pas un bruit, pas une trace de l'ennemi. La Forêt se tait. Mais soudain ils prennent une balle à bout portant. L'ennemi les laisse approcher à quelques pas. Il y a construit des positions, il les guette et les frappe de façon soudaine à coups de grenades rudimentaires. Le feu provient de tout côté et il était impossible de dire d'où il provenait. De l'ennemi, on ne voyait rien. Il fallait prendre double ou triples précautions. L'homme se tenait dans les fourrés, retenant sa respiration, seul son coeur battait. Il restait ainsi pendant des heures, dans l'eau et la boue. Les serpes et les scies devaient être maniées silencieusement dans le sous-bois et les branches coupées devaient tomber sans bruit et en faisant attention. Qu'une branche bouge et cela pouvait signifier la mort. Prudemment, l'homme se glissait entre les ronciers. En premier l'arme, puis le corps. En silence, sans un bruit. Pas à pas. Si une branche craquait, c'était manqué. Et la Forêt se taisait, de son silence effrayant. Parfois, les patrouilles infiltrées, pénétraient si profondément qu'elles pouvaient entendre l'ennemi. Elles l'entendaient causer, tousser, donner des ordres. Mais elles ne le voyaient pas. Un mot imprudent, un raclement de gorge, et l'homme était abattu dans les broussailles. A chaque pas, la mort pouvait frapper. Un écart devant le front pouvait soudain déclencher un feu nourri à travers le feuillage. Et le soldat s'écroule. La plupart du temps, l'un d'eux ne revient pas. Dans les sous-bois et les fourrés se trouvent tous les dix ou vingt pas des arbres assez hauts, la plupart du temps des chênes. En haut, dans l'épais feuillage se tient l'ennemi. La mort est dans le sous-bois, là-haut dans les airs. Mais on ne voit rien. Les tireurs d'élite français sont solidement attachés dans le feuillage. Si l'un d'eux est touché, il ne tombe pas. De cette façon , l'ennemi garde ses positions introuvables. Ils ont en outre des mitrailleuses dans les arbres qui offrent de bonnes vues sur les sous-bois, les buissons et les flancs de coteaux. Dès qu'un buisson vacille en bas, les mitrailleuses crépitent et répandent la mort dans les buissons. Aujourd'hui elles sont là et demain elles seront là-bas. On ne les voit pas. On se bat contre des fantômes. La Forêt boit du sang. L'homme tombe, disparaît, personne ne la retrouvera. Malheur à lui si il tombe dans les fourrés. Comment pourrait-on le retrouver ? Comment sera-t-il possible de le récupérer dans les épines et les broussailles ? Aujourd'hui encore, on retrouve des cadavres et des squelettes dans les fourrés. On aperçoit une arme en joue, on appelle, mais le tireur ne répond pas. C'est un mort que les épines retiennent dans sa dernière position. Parfois, lorsque le feuillage commence à tomber, on voit pendre aux branches des chênes l'un des tireurs d'élite français qu'une balle a touché là-haut dans sa cachette. La Forêt était pleine de Feldgrau. pour les soldats qui aiment les grandes batailles rangées et qui sont amenés de force au combat rapproché, c'est une dure expérience. Pour l'ennemi rusé et astucieux ce combat rapproché offre d'indéniables avantages. Adieux les grandes batailles rangées, une autre forme de guerre commence. On s'était renseigné sur les positions ennemies isolées. On tentait encore de les prendre à la baïonnette, par des tirs de front ou de flanc. le sacrifice était trop grand. Cela ne servait à rien ! On s'enterra. On creusa des tranchées dans le sol de la Forêt et on guetta. Il n'y avait rien à voir. Les fusils claquaient. Les balles sifflaient. Elles effleuraient les branches amoncelées sur le sol et ricochaient ce qui provoquait de graves blessures. Les nuées de balles de mitrailleuse sifflaient dans les buissons. L'ennemi restait invisible. Ses positions étaient dans les broussailles, recouvertes de branches et de feuillages. Les plus hardis et les plus courageux s'avançaient comme guetteurs afin de repérer précisément les positions ennemies. Les plus hardis et les plus courageux ne revinrent jamais. Honneur à leur mémoire. Les armes crépitent dans la Forêt, la mort est partout. Un branche craque, une rafale, un cri étouffé. Où? Quelque part devant... Honneur à ceux qui sont maintenant tombés ! On combat contre des fantômes. Ce sont des fantômes avec des armes ! N'ayez pas peur, ce sont des Français, rien d'autre, et nous allons les repousser à nouveau ! Mais on ne voit pas leurs positions, on ne les connaît pas, mais on les pressent. Qu'une tête se montre une fraction de seconde au dessus du parapet, et un feu meurtrier se déclenche. Là-bas ! On repère la direction. C'est déjà beaucoup. Encore une fois, on ne voit rien, mais de milliers de balles sifflent çà et là, les mitrailleuses déchiquettent le feuillage dégarni de la terre fraîchement retournée: l'ennemi est là ! Les mitrailleuses font leur travail. Le feuillage diminue, les branches seront fauchées, les troncs des arbres coupés: on ne voit plus par endroit, qu'à moitié cachés, les parapets d'une tranchée, soudain on repère une meurtrière dans laquelle s'agite le canon d'un fusil, qu'une tête, avec un képi crasseux, bouge là droit devant.. Mais on n'oublie pas qu'il s'agit de kilomètres de tranchées que l'on doit arracher péniblement dans de violents combats. En définitive, la position ennemie est bien connue. L'expérience de la guerre dans la Forêt a montré que les assauts à la baïonnette contre les retranchements ennemis demanderaient de trop grands sacrifices. La vie de chaque homme est précieuse. Mais nous viendrons à bout de vous, messieurs les Français ! On se frayera un passage entre les positions ennemies avec l'aide des mines souterraines. Les mines souterraines ne sont rien d'autre que des tranchées couvertes se dirigeant vers l'ennemi à partir des premières lignes. Les Pionniers entrent en action. Ils avaient déjà combattu héroïquement dans cette guerre. le plus dur du travail restait à venir pour eux. Leur gloire est immortelle dans l'histoire de cette guerre forestière. Le Pionnier progresse vers l'avant, laissant des sacs de sable derrière lui, qui doivent lui permettre de se protéger. Il fait nuit, les nuages stagnent dans le ciel obscur. Une lumière précaire éclaire la clairière que des milliers de balles ont engendré. Il déblaye l'herbe et les racines, il s'enfouit dans le sol. Soudain, les balles sifflent. Le Pionnier est touché, il gît à plat par terre. L'ennemi commençait à avoir des soupçons. Une fusée éclairante illumine la clairière. Une rafale est tirée. Elle percute les sacs de sable. Le Pionnier ne bouge plus. Un autre le remplace. Il élargit le boyau, jusqu'à ce qu'il puisse s'y tenir. Puis, il s'avance de quelques pas et continue de creuser jusqu'à hauteur des genoux, derrière encore, un troisième poursuit de creuser jusqu'à mi-corps. La sape raccorde avec méthode les tranchées principales. Sa construction est laborieuse et dangereuse. Elle est construite en zigzag afin de lui conférer une plus grande sécurité contre les observations et les tirs des grenades. 2,3,4 sapes sont creusées avec peine et protégées des tranchées ennemies. La position ennemie est clairement identifiée en têtes des sapes. On distingue à travers les fourrés des abris recouverts de terre, de rondins et de poutres. On distingue les postes d'observation et les créneaux de tir. Les tranchées sont si proches que l'Artillerie ne peut les bombarder, sans mettre en danger ses propres unités. Les obus tirés à 3,5,10 kilomètres de distance, peuvent être déviés de 20 ou 30 mètres (en fonction de la densité de l'air, en fonction du vent...) et occasionner d'effrayants dommages. Aussi a-t-on été obligé d'élaborer un canon, le Minenwerfer, capable de tirer des obus à une distance réduite de 200 à 800 mètres. Ceux-ci ont été fabriqués et bientôt, le premier obus explosera dans les tranchées ennemies. Les sapes sont établies jusqu'à 10 mètres des positions ennemies. Les Minenwerfers préparent l'attaque. La Forêt gronde et se déchaîne. Les colonnes d'assaut se rassemblent dans les sapes. La sonnerie de l'assaut retentit et les combattants sortent des sapes. En tête, des hommes avec des cuirasses de protection et des grenades à manche. Ils courent vers la mort. Les barrages de fils de fer sont tourmentés, brisés, escaladés. Les premiers sont déjà dans les tranchées ennemies. C'est un corps à corps, haletant, brûlant et sanglant. Les crosses déchirent l'air, les grenades explosent. Des cris, des appels, des jurons. Le soldat de l'Argonne est effrayant en combat rapproché ! "Pardon, camarades, pardon !". L'ennemi s'enfuit dans les fourrés, il est mort, blessé, capturé. La tranchée est prise. Pas une respiration, pas une pause ! Les boucliers de tranchées de l'ennemi sont fixés sur l'autre bord de la tranchée, les sacs de sable entassés - et le combat se poursuit ! L'ennemi se trouve à nouveaux dans les fourrés impénétrables, dans de nouvelles positions aussi invisibles que les premières. Et le même combat commence à nouveau ! Mais on ne doit pas oublier qu'il s'agit d'un réseau de tranchées de plusieurs kilomètres qui doit être repris constamment. Nos positions forment une courbe en S, à travers les collines boisées, les croupes, les pentes et les ravins.

 

- La Musique de l'Argonne -

Une armée qui, face à de telles difficultés, ne se décourage pas et qui encore a la volonté d'aller toujours de l'avant, a droit à une gloire immortelle dans l'histoire. L'armée est au combat, jour et nuit, pendant des semaines, des mois. Ici, il n'y a pas de dimanche, pas de jours fériés. Le tonnerre gronde dans la Forêt. ce sont les obus qui explosent. ce sont les canons qui tirent. L'Echo retenti dans les ravins. Les fusils font feu. Au loin, dans la Forêt l'écho résonne. Les mitrailleuses crépitent tel l'effrayant claquement de dents d'un monstre. Les obus passent en hurlant au-dessus des hauteurs ténébreuses. Dans les collines boisées, c'est un vacarme jour et nuit. Dans les fourrés, la mort frappe. L'Artillerie reste cachée dans la Forêt. Les lourds canons sont remorqués par six à huit chevaux à travers les sentiers argileux, cent poings saisissent les rayons et mettent les pièces en position. La sueur ruisselle sur le visage des soldats. Lorsqu'ils font feu, leur vacarme déchire la colline, et les obus mugissent au dessus de la Forêt. Si l'ennemi réplique, les arbres volent en éclats. C'est la musique de l'Argonne. Sans une pause, sans reprendre leur souffle, les combats se poursuivent. Ce sont les combats les plus effrayants, les plus sanglants qu'une guerre ait connu dans l'histoire. C'est la lutte la plus épuisante que l'on puisse imaginer. La bataille rangée est enivrante, chaque jour la victoire et la mort obsèdent. Le soldat pense que c'est son dernier jour. La mort est là à côté de lui. Le triomphe, le repos, les nouveaux cantonnements, de nouveaux événements, de nouveaux paysages, de nouveaux habitants. Le combat de tranchées dure des mois, le soldat pense que c'est à chaque fois le dernier, mais ce n'est jamais la fin. la fatigue, le danger, les privations, chaque jour et chaque nuit. Aucune issue en vue, aucun assaut enivrant, pas de nouveaux cantonnements, pas de nouveaux paysages ou de nouveaux habitant. Ici, ce sont les tranchées et devant les réseaux de barbelés et les morts. C'est toujours la même chose, exténuant, glorieux et la mort présente à chaque seconde. Officiers et soldats produisent des efforts surhumains lors des combats de tranchées. Sections et compagnies, bataillons et régiments se grignotent lentement les uns les autres dans la Forêt, pas à pas. Sapes et tranchées doivent être prises dans de sanglants combats. L'ennemi contre-attaque furieusement et est repoussé chaque fois. Entre les barbelés gisent les morts. Au début, les tranchées n'étaient que des boyaux dans le sol de la Forêt. Elles seront de plus en plus aménagées. Plus les attaques seront violentes et plus les positions seront résistantes. L'ennemi construit des blockhaus dont seul le toit sort du sol et les met à l'abris des bombes. Ils sont camouflés par les broussailles, ce sont des fortins invisibles. Ils leurs seront pris un à un, mais ils reconstitueront à chaque fois leurs positions 50 mètres plus en arrière. Seule la volonté n'était pas découragée. On examine la possibilité de mettre le feu à la Forêt, et ainsi, en supposant que le vent soit favorable, de chasser l'ennemi par le feu et la fumée. Mais le bois détrempé ne brûle pas et dans la Forêt aux collines crevassées, les courants de vents étaient trop instables et imprévisibles. Alors on a poursuivi les combats de tranchées. Les tranchées sont inondées. Les hommes sont couverts de glaise des pieds à la tête. Il pleut depuis des jours, et l'eau monte jusqu'aux genoux dans les tranchées. On installe des caillebotis en rondins mais cela ne suffit pas. La boue et la glaise sont l'habitat du soldat, et même dans les abris l'humidité pénètre jusqu'à la peau. Le soldat se tient avec son fusil au créneau, trempé. Enveloppé dans son manteau boueux, il dort dans son trou humide, les godillots crasseux aux pieds. Le feuillage jauni, se fane et commence à tomber. On s'attend à avoir une meilleure vue, mais les fourrés et les épines demeurent impénétrables. L'hiver arrive petit à petit. Les arbres mugissent dans le vent. Il neige. Mais la neige ne reste que quelques jours. Puis il se remet à pleuvoir. Et il pleut pendant des semaines sans interruption. Les tranchées ruissellent. Le soldat se tient là, dans l'eau et la boue jusqu'aux hanches. Des pompes sont mises en service mais ne sont que de peu d'utilité. Les sentiers et les chemins sont détrempés et boueux. Des sentiers de rondins sont construits, des chemins sur de gros troncs et de grosses poutres. Sur ces chemins, tout doit être remorqué: les vivres, les munitions, l'eau potable, le courrier, les charges explosives et les obus pour Minenwerfers. Des centaines et des centaines de lourds obus doivent être apportés aux batteries situées sur les croupes et dans les ravins. Les efforts sont énormes, le service harassant. Quelques trains forestiers ont été installés dans la Forêt et allègent les transports. Et la Forêt continue son vacarme, tambourine et résonne jours et nuits.

 

- Les combats de l'hiver -

Même pendant l'hiver, il ne se passe pas une semaine sans qu'un blockhaus ou une portion de tranchée soit arrachée à l'ennemi. Tantôt combattront de petits groupes de pionniers et de fantassins, tantôt des régiments et de grandes unités allant jusqu'à la brigade et la division. On sait peu de choses au pays et dans le monde des actions sans fin et des violents combats de la Forêt d'Argonne. de courts télégrammes, c'est tout. Le mot "Argonne" apparaît presque tous les deux jours dans les bulletins officiels. en novembre, elle a été 13 fois nommée, en décembre 12 fois. En janvier, 14 fois, presque autant en février. Une tranchée, une position fortifiée de prise, une attaque ennemie repoussée dans le sang, un blockhaus conquis. Les grandes actions étaient très rapprochées: Le 14 Novembre, dans la Forêt d'Argonne, notre attaque pris de l'avance. Les Français eurent de lourdes pertes et laissèrent 150 prisonniers entre nos mains. Du 20 au 27 Novembre, nous gagnons du terrain pas à pas ; tranchées et points d'appuis furent arrachés aux français. Chaque jour, nombre de prisonniers étaient faits. 2 Décembre. En Forêt d'Argonne, un important point d'appui a été pris par le 120ème I.R. Würtembourgeois, le régiment de l'Empereur. A cette occasion, deux officiers français et 300 hommes ont été faits prisonniers. 12 décembre. En Forêt d'Argonne, après des semaines d'attitude passive, les Français tentent quelques attaques ; ils seront partout repoussés. Au contraire, les troupes allemandes prirent de nouveau un important point d'appui français à coups d'obus. L'ennemi subit de lourdes pertes tués ou ensevelis. Par ailleurs nous fîmes 200 prisonniers.
18 Décembre: En Argonne, notre attaque réussit à faire environ 750 prisonniers et quelques machines de guerre. 21 Décembre: Dans la partie ouest de l'Argonne, nos troupes ont conquis un important territoire, un fortin, de nombreuses tranchées et fait prisonniers 250 français.
1er Janvier 1915: En Argonne, nos attaques se poursuivent. 400 soldats français, 6 mitrailleuses et de nombreuses autres armes et munitions sont tombées entre nos mains.
6 Janvier: En forêt d'Argonne nous nous sommes emparés de nombreuses tranchées, avons repoussé plusieurs attaques ennemies et fait prisonniers 2 officiers français et plus de 200 hommes.
9 Janvier: Dans la partie Est de l'Argonne, nos troupes ont effectué avec succès une attaque, faisant prisonniers 1200 français et s'emparant d'un crapouillot et d'un mortier de bronze. Les chasseurs silésiens, un bataillon lorrain et des Landwehrs de la Hesse, se sont distingués à cette occasion.
12 Janvier: En Argonne, un point d'appui français situé sur la voie romaine a été enlevé, 2 officiers et 140 soldats sont à cette occasion tombés entre nos mains.
Au cours des combats de la partie est de l'Argonne, nous avons fait prisonniers depuis le 8 janvier (y compris ceux déjà signalés): 1 commandant, 3 capitaines, 13 lieutenants, et 1600 hommes, ce qui chiffre leurs pertes totales - tués et blessés compris - à 3500 hommes dans cette zone d'action. Fin novembre l'ennemi avait eu pour pertes 1300 prisonniers, 4000 tués, 13 000 blessés. En Décembre, le nombre des prisonniers s'élève à 3000, ce qui fait 8000 hommes perdus avec les blessés et les tués. Comme trophées, le butin s'élève pour le mois de décembre à 21 mitrailleuses, 14 crapouillots, 2 canons revolver et un mortier en bronze. Si on ajoute les 2500 prisonniers faits de fin novembre à la mi-janvier et les 4 ou 5000 blessés et tués, les pertes totales françaises en Argonne s'élèvent à environ 36 000 hommes. Un Corps d'Armée français a été englouti par la Forêt en quelques mois !!! L'ennemi envoi sans cesse de nouvelles unités en Argonne. Au départ combattaient ici les 2ème et 5ème C.A. Ils furent rapidement renforcés par les Troupes coloniales et l'Infanterie de Marine. En Janvier, le 1er C.A. et les Garibaldiens firent une apparition momentanée. A la mi-janvier de nouvelles unités furent envoyées dans la Forêt afin de relever le 2ème C.A. apparemment complètement épuisé. Le 32ème C.A. pris place. Mais dès le 29 janvier, les Würtembourgeois infligèrent à ce C.A. une éprouvante défaite. Sur un front de 3 kilomètre ils prirent d'assaut les 3 premières lignes françaises et gagnèrent 100 mètres de terrain. 12 officiers et 740 hommes furent capturés. L'ennemi laissa plus de 100 morts sur le champ de bataille. 11 mitrailleuses, 10 crapouillots, 1 mortier de bronze, 1 canon revolver, des centaines de grenades et une importante quantité de munitions d'infanterie constituèrent le butin. Tous les bataillons ennemis furent totalement anéantis. La Forêt rongeait la puissance de l'ennemi. Instructions, avis, lettres et journaux intimes laissaient tous présager du moral de l'ennemi. Et ce moral était de plus en plus mauvais de jour en jour. Les cas de mutilation volontaires se multipliaient. Dans les instructions on se plaignait de l'augmentation de l'aversion au combat et de la passivité. Les chefs de section, de bataillons, et de compagnies furent exhortés à aller voir chaque jour leurs hommes en première ligne et à imprégner leurs subordonnés de l'esprit d'attaque. Un journal de commandement récupéré mi-décembre contenait les recommandations suivantes: "Il est de la plus haute nécessité, d'augmenter l'activité sur tout le front. Jusqu'ici, celle-ci a été, de l'avis du commandement, insuffisante... Une plus grande activité offensive doit être déployée. Si cela continue comme cela, les Allemands vont nous submerger". Un ordre secret et personnel du Commandement Général du 2ème C.A. contenait les mots suivants: "Le Commandement Général constate avec regret que les activités de combat se limitent à la défense immobile, pendant que les allemands qui ont autant de pertes que les Français, ne cessent d'attaquer...On s'est habitué à l'inactivité et on attend passivement l'attaque ennemie...Les officiers passent leur temps dans les arrières lignes par ennui ou par peur..., il est absolument nécessaire que tout cela change..." Début janvier paraît un décret contre les automutilations par les soldats. "Depuis quelques temps est constaté un nombre élevé de blessures suspectes chez les hommes de troupe de différents régiments, tous d'Infanterie. Il a été prouvé qu'il s'agissait de cas d'automutilation volontaire ayant pour but de se soustraire à ses obligations militaires..." Cela pouvait aller très loin ! L'attitude des combattants allemands était toute autre ! La manière d'agir du lieutenant Fischinger du 120ème Régiment du Kaïser Wilhelm en est un exemple typique. A peine guéri d'une blessure aux poumons, il revint à nouveau dans la Forêt et fut à nouveau blessé en décembre par un éclat de grenade dans le dos. Cette blessure légère fut soignée dans la tranchée. Cependant il contracta une pleurésie et dû être interné à l'hôpital militaire. Là, il appris le 28 qu'une offensive était prévue le lendemain. Il ne resta pas là plus longtemps ! Il parcouru dans la nuit 20 kilomètres à cheval, arriva à 4h00 du matin dans sa tranchée et repris le commandement de sa compagnie. Il la mena dans des combats victorieux le 29, et rejoignit ensuite l'hôpital militaire. La fin janvier arriva, puis le début février. Mais les combats se poursuivaient sans relâche. Et la Forêt buvait du sang ! Jour et nuit. Les canons ennemis ravageaient les collines, les pentes et les ravins. les arbres volaient en éclats et tombaient violemment sur le sol. L'ennemi envoyait tous les calibres, depuis de petits canons transportés à dos d'âne, jusqu'aux lourds obusiers. Grenades à mains, torpilles et mines, la mort était en chemin de mille manières. Obus et mines tambourinaient sur les tranchées, les shrapnells sifflaient ici et là. Le soldat qui amenait le café fut tué et s'effondra sur le sol. La cuisine de campagne fumait dans la Forêt, et les obus l'anéantirent. Les obus frappaient les abris, cherchant leurs proies. Un poste d'écoute qui s'avançait dans la Forêt fut écrasé par un obus. La mort frappe de mille manières et partout. Elle trouve son chemin à travers les étroits créneaux de tir. Et la Forêt engloutit les hommes, chez nous et encore plus chez eux, chez l'ennemi. La Forêt d'Argonne est une immense tombe. Combien ? Un jour, on entendit un nombre, et l'on pâli et tous comprirent combien les combats étaient effroyables là-haut... Nombreux sont ceux qui sortirent des camarades de la tranchée et les couchèrent dans la Forêt pour leur dernier repos. Nombreux sont ceux qui firent leur dernier voyage dans la vallée sur le train forestier. Nombreux sont ceux qui ont quitté la Forêt vivants et qui en ont gardé le souvenir toute leur vie. Le soldat blessé, gît couché, le fusil à la main. Simplement et sans artifice, comme si il faisait son devoir ; simplement et sans artifice il quitte le champ de bataille. Si la mort est démente, il rampe dans la Forêt, sans aucune aide, jusqu'à son unité. Mais souvent il ne peut faire le chemin tout seul. Brancardiers et médecins sont sur place. Aussi héroïques que le soldat. Ils font leur devoir, ils vivent et meurent pour les camarades. Ils portent les blessés, qui gisent sans aucune aide dans les tranchées. Les tranchées sont étroites et sinueuses afin de limiter les effets des obus et des marmites. Dans une tranchée pleine d'eau et de boue, il est difficile d'accéder à un blessé. Mais il ne peut en aller autrement, alors le médecin doit faire son travail dans un abris étroit et sombre. Des opérations urgentes, des hémorragies à comprimer. La plupart du temps cependant, le blessé est transporté sur le dos sur une toile de tente à travers les tranchées tortueuses longues de plusieurs kilomètres. Il en va ainsi à travers la Forêt, les balles sifflent et les obus explosent. On n'est jamais en sécurité. De plus, le poste de secours se trouve dans la zone de feu, ce qui rend pénible le travail des médecins dans leurs petits gourbis. Puis cela se poursuit dans une voiture qui s'enfonce dans la boue et bute dans les trous d'obus. Le blessé gémit. Le soldat de la Forêt d'Argonne doit beaucoup endurer ! A l'hôpital de campagne, il est enfin sauvé et bien surveillé. A condition que l'ennemi ne tire pas avec ses canons à longue portée ou ne largue des bombes d'avion. En haut, cependant, dans la Forêt, les camarades continuent à combattre. Lui aussi reviendra et combattra lorsque cela ira mieux. Parfois l'un revient trois ou quatre fois. Et puis la Forêt l'engloutit.

 

- Patience -

Il apparaît donc clairement que tout cela n'a pas été aussi rapide que cela. Nous avions toujours les deux mains occupées à quelque chose. On nous avait dit de persévérer jusqu'à ce que le grand jour tant attendu arrive, où il faudrait de nouveau aller en avant ! Le soldat de l'Argonne, formé solidement depuis des mois, se trouvait devant l'inévitable. Là où on le postait, il voulait tenir, ne pas vaciller ni fléchir. Et il se tenait debout dans la tranchée et dans la Forêt comme un homme de fer. Ce dur devoir était laborieux et monotone. Le soldat devait se tenir au créneau, sous la pluie, dans la tempête. Si quelque chose bougeait devant, entre les fils de fer proches qui avaient l'air d'un sombre buisson d'épine envasé et rampant, entre les sacs de sable gris, alors sont fusil fustigeait. Les grenades tourbillonnaient dans l'air. Il bêchait, creusait, améliorait quotidiennement les tranchées que les obus, les mines, les averses bouleversaient. Il mangeait sa soupe assis dans la tranchée, dormait, fumait et bavardait dans les abris obscures. Et comme lui, le soldat au créneau, le Pionnier, le lanceur de mines, le canonnier, le téléphoniste, l'observateur d'artillerie, le porteur de victuailles, le personnel du train forestier, les soldats du service de santé et les médecins étaient fidèles à leur devoir. Quand il se rendait dans les positions de repos, il rassemblait ses affaires, et boueux et trempé comme il était, il rampait au dehors de la tranchée, le fusil en bandoulière et descendait dans la Forêt à travers les boyaux de communication longs de plusieurs kilomètres. Il rampait dans la paille, se couchait, puis nettoyait ses vêtements et ses bottes et allait ensuite se remettre en ordre avec du savon et de l'eau courante. Ce n'est qu'alors qu'il devenait à nouveau humain. Les cantonnements étaient misérables. Des greniers de paysans et des granges pitoyables, où chaque centimètre carré était occupé et où l'on devait ramper parmi les camarades. Mais le soldat était devenu tempérant. Le plus grave était que les Français puissent les bombarder, demain, à midi, ce soir, quand cela leur plairait. Les obus explosaient en tous lieux. Les toits s'effondraient, les murs tombaient en morceaux. On devait se barricader avec des sacs de sable. Chaque village, chaque bourg autour de la Forêt d'Argonne, dans lesquels le soldat pouvait se reposer, tombait lentement en ruines. Ils avaient été évacués par les habitants depuis longtemps. Binarville, Apremont, Montblainville, Varennes. On n'y était pas en sécurité une heure de sa vie. L'ennemi se répandait sur les routes, si bien qu'il n'était souvent pas possible d'aller se dégourdir les jambes. Nombreux sont ceux que la Forêt avait épargné et que les obus ont tué au cantonnement. Peu à peu apparurent des camps de huttes et des villages forestiers camouflés, avec des blockhaus, des pièces propres, des chemins nets, des barbiches et toutes sortes d'ornements. Bains, dispositifs de secours, salles de lecture, rien ne manquait. Dans la Forêt, canonniers et pionniers se creusaient de profonds abris et les décoraient aussi bien que possible. Des fourneaux furent amenés dans la Forêt. Du bois, il y en avait assez. L'Etat Major se trouvait dans les villages à l'écart et prirent leurs propres dispositions en vue d'une longue durée. Les trains forestiers, qui servaient au transport des munitions, de la nourriture, des hommes de troupe, furent encore construits. Ils cheminaient très profondément dans la Forêt. Pendant des heures, les charrettes allaient et venaient. Finalement elles furent mises à la disposition d'entreprises électriques. Derrière le front, se trouvaient de nombreuses usines couvrant les multiples besoins des troupes. Des fabriques de sacs et des ébénisteries, des fabriques de treillages pour les lits, des tailleurs et des ateliers de cordonniers, des fabriques d'eau minérale, de grandes boulangeries et boucheries. Un soin était porté à la distraction et au repos des hommes de troupe. Des chorales furent fondées. On pratiquait le sport et finalement des fêtes sportives furent organisées de manière régulière. C'est le mérite du Kronprinz d'avoir discerné l'utilité du sport pour la guerre de position. Les officiers d'Etat Major, dont le travail était aussi fatiguant et éreintant que celui du simple soldat, montaient beaucoup à cheval pour la chasse ou la course, parfois dans le rayon d'action des canons ennemis. Plus tard, furent donc organisées, pour les hommes de troupe cette fois ci, des fêtes sportives. Sur un terrain de sport, décoré avec des drapeaux et des fanions comme pour les fêtes patronales, furent organisées des épreuves de toute sorte. On courait, on sautait. Des matchs de football étaient organisés entre les hommes de troupe des corps d'armée voisins. C'était la paix au milieu de la guerre ! Les combattants portaient des vêtements de sport colorés: noir et blanc, bleu et blanc, jaune et blanc. Les yeux ne pouvaient tous les voir. enfin pour une fois autre chose que ces éternels Feldgrau. Les corps engourdis dans les étroites tranchées devenaient souples et élastiques. Ceux qui ne pensaient qu'au combat et à la guerre, en revenaient de nouveau à d'autres pensées. Des souvenirs du temps de paix s'éveillaient, des jours heureux, d'une société pleine d'entrain. La camaraderie entre les différents régiments et les corps d'armée était renforcée. On échangeait des expériences. Et lorsque la fête sportive s'achevait, tous avaient vécu une journée de paix, dont ils pourraient se souvenir. Quel bienfait! Mais devant, dans la Forêt, le combat se poursuivait sans pause. Lentement, les jours et les nuits filaient. La pluie, la neige, l'orage, la clarté du soleil, les fusils détonnaient à nouveau, les grenades explosaient. La nuit, les tirs grondaient et frappaient. Des éclairs sur les hauteurs de Vauquois. Des gerbes de feu nocturnes partaient des hauteurs boisées. Par dessus les croupes, au dessus des tranchées, montent les fusées éclairantes. Telles de lunes menaçantes et pâles, elles planaient dans la nuit et alentour tout était éclairé. Des milliers d'yeux épiaient l'ennemi.

 

- Les fortins ennemis -

Au nord, au nord est et à l'est, les combattants de l'Argonne s'enfouissent de plus en plus profondément dans la Forêt. Les privations, l'humidité, les baïonnettes et les obus ne leur permettaient pas de s'arrêter. Plus le combat dans la Forêt durera, et plus il sera mené de façon acharnée. L'ennemi lançait des mines volantes des plus gros calibres, qui formaient de nombreux cratères dans le sol. La guerre des mines, la guerre souterraine, adoptait des formes toujours plus atroces et horribles. On luttait pour les collines boisées comme pour un fortin, qui signifiait la victoire ou la défaite. L'ennemi envoyait de plus en plus de troupes dans la Forêt. "L'Argonne c'est l'enfer !" écrivit un officier français dans son journal de marche. en décembre, comme nous l'avions mentionné, les régiments qui contenaient l'ennemi à l'est, dans la direction d'Apremont avaient atteint la profonde vallée de Fontaine aux Charmes. Les régiments würtembourgeois, qui introduirent leurs troupes par le nord, depuis Binarville, avaient pris d'assaut le 29 janvier en une tempête resplendissante, trois positions successives au sud de la vallée Moreau. Lorsque les jours rallongèrent et que la Forêt reverdit, les troupes d'Argonne avaient réussi à prendre les principales positions que l'ennemi avaient établies sur les croupes de la Forêt, dans de sanglants combats ininterrompus. C'était des fortins dans un labyrinthe de couloirs et de boyaux, établi à deux mètres sous terre. Des murs de sacs de sable, des barricades de poutres et de pierres, des réseaux de fils de fer barbelés. Ces profonds abris pouvaient accueillir toutes les colonnes et un demi bataillon. Dans ces ouvrages souterrains, avaient été aménagés de particulièrement robustes forts, blockhaus de poutres et de sacs e sable dont le toit plat dépassait du sol. Mille fois la mort a menacé depuis ces ouvrages. Ils semblaient imprenables. Ces forteresses se situaient sur une hauteur du Bois de la Gruerie, qui poussait en arc de cercle à l'intérieur de nos positions. Elles commençaient à la route de Binarville-Vienne le château, avec le robuste ouvrage Labordère. Attenant, se rejoignaient les ouvrages Central, Cimetière, Bagatelle (on devait donner des noms à ces labyrinthes afin de pouvoir s'y retrouver). Puis vient l'ouvrage du dôme du "Eselnase". Le "Eselnase" tombe abruptement dans le défilé du ruisseau de Fontaine aux Charmes. Sur les autre versants du défilé s'élève l'ouvrage "Storchennest" (les Français l'appelaient "les enfants perdus") et attenant se trouvaient les ouvrages "Rheinbabenhöhe" et "Marie Thérèse". Sur une longueur de 5 kilomètres s'étendait la file de forteresses de l'ennemi. Comme par un coup de chance diabolique, elles se trouvaient sur les hauteurs, et nous, nous étions au dessous. Les possibilités d'observation de l'ennemi étaient brillante, les nôtres franchement minimes. Si nous parvenions à prendre les forteresses, alors nous profiterions de tous les avantages des hauteurs, et l'ennemi serait poussé dans le fond de la vallée de la Biesme. L'opération était délicate, énorme, surhumaine, mais sans hésiter, les troupes de l'Argonne se mirent à l'ouvrage. Cela durait depuis des semaines, des mois ! Sans une pause, les fusils fouettaient et les mitrailleuses martelaient. La Forêt disparaissait totalement, le sous-bois, les buissons, les plantes et l' herbe, tout ce qui verdoyait disparu, la terre nue et la glaise apparaissaient. Les collines boisées étaient totalement nues. Les obus et torpilles anéantissaient les chênes isolés gros comme des hommes. Les balles coniques les perforaient, les criblaient, si bien qu'un coup de vent suffisait à les briser et à les abattre au sol. Les sapes furent poussées en avant, tout comme auparavant. Et sous terre, profondément, les Pionniers creusaient dans les galeries de mine. La guerre au-dessus ne suffisait plus. Les balles de fusils, les obus, les grenades et les torpilles, tout cela n'était pas assez. On rampait sous terre afin d'emballer l'ennemi puisque cela ne pouvait suffire par le dessus. Les galeries de mines s'étiraient sous terre sur des kilomètres dans la glaise et la roche, un labyrinthe de galeries et de couloirs, comme les tranchées au-dessus. Au début, c'était des trous profonds, des puits, des fosses, profonds de plusieurs étages. Des échelles de cordes et de rondins y menaient. Après, cela allait droit sous les tranchées et à travers les réseaux de barbelés. de là, cela partait vers la gauche et vers la droite. Les galeries de mines, qui partaient des différents puits de mines, avançaient chaque jour. Elles étaient reliées dans un pénible travail par des galeries et des corridors, jusqu'à ce que naisse un labyrinthe de galeries, là sous terre dans la pénombre, une véritable mine d'extraction. Jours et nuits, pendant des semaines et des mois, les pics à tête, les pelles, les marteaux piqueurs attaquaient de plus en plus près de l'ennemi. Le travail des sapeurs était difficile et pénible. C'est un travail que personne ne connaît ni ne voit. Il coûte de la sueur, demande de la réflexion et du courage. Pendant 8 heures, le sapeur charrie de manière ininterrompue de la terre et des pierres à travers les galeries obscures. Il vide la terre à l'extérieur, dans la lumière du soleil, mais cela doit se faire avec la plus grande prudence, car si l'ennemi observe que de nouvelles levées de terre se forment, il lancera instantanément des mines et des obus de ce côté là. Là-dessous, on travaille avec un compas et un mètre. Il s'agit d'angles aigus, de pentes et de rampes, de mètres et de demi-mètres. des trains avec du bois à l'usage des mines roulent dans la Forêt. Les sapeurs charrient jours et nuits du bois et des poutres à travers les galeries afin de les achever dans les règles de l'art et de la étayer. Mais que se passe-t-il ? L'ennemi creuse-t-il aussi ? Le sapeur tend l'oreille, là-bas dans la galerie obscure. il écoute si de l'autre côté, chez l'ennemi, on ne creuse pas. Il pleut à verse, depuis des jours, et le sapeur écoute: oui, aucune pompe n'est en marché côté français. L'eau a envahi les galeries. Naturellement, le français creuse aussi. Il est maître en la matière. La guerre souterraine se poursuivra avec ruse et une prudence accrue. Un jour, à une heure de la nuit, pendant que dehors les fusils tiraient et que les balles éclairantes éclairaient comme en plein jour, on l'entendit par chance racler et gratter, lui qui de l'autre côté progressait depuis des semaines et des mois, et qui comme nous cherche à submerger l'ennemi par le dessous, parce que cela ne suffit pas par au dessus. Le sapeur, qui est un véritable gaillard et qui comprend la situation, sait précisément ce qu'il doit faire. Avec ses oreilles affinées il écoute et se dit qu'ils sont à 6 mètres, qu'ils sont à 4 mètres. est-il à droite, à gauche, au dessus, en dessous, ses oreilles l'entendent. L'officier se tient dans son abris sur son châlit et dort. le téléphone sonne: il est arrivé à 4 mètres. Il est au-dessus de nous. Il faut agir dès maintenant ! On doit creuser et racler, sans que de l'autre côté il ne s'aperçoive que l'on est sur ses traces. Il est vraisemblable que lui aussi nous a entendu avec ses oreilles affinées. Le grand moment est arrivé. Il s'agit d'une question de minutes. La charge du fourneau de mine va être mise en place. Des sacs de sable, de véritables montagnes de sacs de sable vont être acheminées dans les puits de mine. Les sapeurs grouillent comme des rats dans l'obscurité. Mais devant, là où doit jouer la mine, les hommes continuent de travailler. Ils accentuent le travail et doivent s'y prendre de façon extraordinairement adroite si ils ne veulent pas se trahir. la manière de manier le pic et le racloir, bien que seulement simulée, doit être faite de façon à ne rien laisser distinguer du véritable travail. car de l'autre côte, l'ennemi dans sa galerie est rusé comme un renard et ferait tout sauter cinq minutes plus tôt si il devine le danger. Ainsi vivent-ils tous, sapeurs, officiers et hommes de troupe. Les caisses avec la charge d'éclatement, spécialement fabriquées, sont munies de capsules de poudre, et pendant ce temps les sapes et les galeries continuent d'être creusées sans aucune pause, et le sapeur, qui s'y affaire, doit être un maître en la matière et doit terminer l'ouvrage. Vite, vite ! Les sapeurs se tiennent accroupis dans les galeries obscures. Les sacs de sable passent de main en main dans une atmosphère fiévreuse. La charge d'éclatement doit être installée et comprimée par un solide rempart d'un mètre d'épaisseur. Sans cela, la charge de notre mine se déchirerait et n'éclaterait pas vers le haut. Les sacs sont acheminés de plus en plus vite et la sueur dégouline en torrents sur le visage des sapeurs. Chaque homme de troupe donne ses dernières forces ! Celui qui est à l'avant et qui construit le mur, travaille comme un diable. Il doit être robuste et adroit. Vite, il doit aller toujours plus vite. Reculez ! Les fils conducteurs sont tirés soigneusement, les sapeurs se dispersent vers l'arrière, vite, vite ! Et l'officier, l'officier des pionniers dit aux Feldgrau dans les tranchées "cela va commencer, attention ! Dans trois minutes cela va sauter". les Feldgrau disparaissent dans les abris et rentrent la tête. Le sol vacille, la mine s'élève haut ! elle déchire la terre, le sol s'ouvre et la terre et les pierres sont projetées à des centaines de mètres de haut. Un volcan crache. La colonne monumentale de fumée et de poussière est noire et grise. Dans la fumée sont projetés des sacs de sable et des corps humains, des membres et des morceaux d'uniformes que le souffle a arraché des corps, des armes, des gamelles. Attention ! A présent tout cela retombe. Les débris crépitent sur les tranchées. Il pleut encore des pierres et des débris, la fumée est encore impénétrable, mais les "Felgrau" sont déjà en dehors des tranchées, déjà en avant ! Et avant que la fumée ne se soit dissipée, ils siègent déjà dans l'entonnoir de mine. Tout était prêt, ils ont simplement épié. Et avec les "Feldgrau", les pionniers sont aussi déjà là, avec des sacs de sable, et ils commencent à bâtir comme des fourmis. Des murs, des boucliers de tranchée, des défenses provisoires: qu'ils osent venir à présent ! Et déjà les Pionniers sont au travail à l'arrière, pour pousser une sape vers la nouvelle position. Ils sont arrivés à 10 - 20 mètres de l'ennemi. Ils ont détruit sa galerie de mine grâce à l'explosion, le travail de nombreuses semaines réduit à néant. A cette époque, il ne se passe pratiquement pas un jour sans que là-haut sur les hauteurs, une mine soit brisée par une explosion. La guerre des mines avait atteint son plus effroyable paroxysme. Ruse contre ruse, courage contre courage. Des centaines de mines furent brisées là-haut et plus d'un sapeur courageux creusa sa propre tombe, là en bas, dans les profondeurs. Il savait pourquoi il mourrait ! Les hauteurs furent réduites en morceaux. Les entonnoirs et les cratères se touchaient. Les mines projetaient sans cesse en l'air des camarades ensevelis et des ennemis, les morts sortaient de leurs tombes. Le summum de l'atrocité était atteint. Personne dans les tranchées et les abris ne savait si dans les prochaines secondes ils ne seraient projetés dans l'air. Les sommets des collines étaient des amas déserts de ruines et de débris, désolés, déchiquetés par de profondes rigoles et gorges. Des vagues de glaise, dentelées et décomposées, s'envolaient dans l'air. C'était tout ce qui restait des hauteurs et de la Forêt. Seul dans les gorges avec des ruisseaux, vers l'ouvrage Labordère, dans la vallée de la Fontaine aux Charmes, la Forêt et les buissons demeuraient encore aussi touffus qu'avant. Ce combat rapproché d'un mois avait été atroce et effrayant. Deux terribles adversaires luttaient pour chaque motte de terre, pour chaque tête de sape, pour chaque entonnoir, pour chacune des petites parcelles de tranchées. Plus encore que pour l'ennemi, le combat était pour nous autres difficile. En effet, l'ennemi se tenait au-dessus et nous en-dessous. L'eau de pluie, une épaisse eau argileuse qui sentait mauvais, coulait sans interruption dans nos tranchées. Pendant des jours le soldat se tint à son créneau dans l'eau jusqu'au dessus des genoux. Là haut il y avait un chemin qui portait le nom de "chemin du suicidé". C'était une tranchée d'approche et pour ne pas avoir à barboter éternellement dans l'eau profonde, on l'avait faiblement creusé. Les balles sifflaient dès qu'une tête se montrait. On devait courir ainsi 300 mètres sous le feu - mais on était mois mouillés ! Les efforts étaient surhumains, la mort était l'hôte permanent dans les tranchées et les abris, mais le soldat de l'Argonne ne vacilla et ne céda pas et rongeait toujours plus prêt de l'ennemi à coups de sapes, de tranchées et d'entonnoirs ! Déjà les tranchées volaient de tranchées à tranchées. Les plus hauts retranchements étaient atteints. L'ennemi ne méconnaissait nullement la situation. Il savait exactement ce que voulaient les "Feldgrau" qui approchaient de plus en plus près. Il envoyaient dans la Forêt des troupes de plus en plus nombreuses. Se tenaient là tout d'abord, depuis janvier, le 32ème Corps d'Armée, qui, comme mentionné, avait relevé dans les mois d'hiver le 2ème Corps d'Armée anéanti ; puis vinrent les 126ème et 128ème Divisions d'Infanterie nouvellement formées, et enfin la 150ème Brigade d'Infanterie. Cela devenait sérieux, ils ne se trompaient pas. A la mi-juin, les nôtres étaient prêts pour l'assaut des retranchements ennemis. Le grand jour était enfin arrivé ! Cela devait commencer par le solide ouvrage ennemi de Labordère, qui se tenait à l'ouest sur le flanc droit. Si cet ouvrage était pris, alors les positions restantes pourraient être conquises. L'attaque sur Labordère fut fixée au 20 Juin.

 

- Labordère -

Le 20 juin 1915 Depuis des jours déjà, les Pionniers traînaient à travers les étroites tranchées les lourdes mines vers les dépôts. Des centaines de grenades y avaient été apportées, des munitions en tout genre. Les galeries souterraines avaient été construites, si bien qu'on avait juste besoin de pousser la couverture pour être dehors. Chaque soldat connaissait sa place et savait où il avait à poser le pied dès qu'il quittait la tranchée. Chaque homme avait achevé le combat dans sa tête, avant que l premier obus n'explose. Il savait vers quelle tranchée et vers quels abris il devait se rendre au cas où il serait blessé. Il savait à travers quelles tranchées les prisonniers devaient être emmenés. Tout avait été fixé et discuté précisément auparavant. Seule une préparation scrupuleuse pouvait assurer le succès. Les réserves avaient reçues des instructions précises. Les tranchées sont un labyrinthe et rien n'est plus facile que de s'y perdre. L'ouvrage Labordère se tenait à proximité et de chaque côté de la route Binarville-Vienne le Château. La forêt, comme à d'autres endroits, y avait été tellement détruite, que les tranchées françaises formant 3 terrasses l'une sur l'autre était clairement discernables. La première ligne était distante d'environ 100 pas des positions allemandes. Plus loin, vers l'est, la Forêt était de nouveau épaisse, des buissons d'épines et un sous bois impénétrable recouvrait le sol. On ne pouvait pratiquement pas voir à plus de 10 pieds. Les positions de combat allemandes et françaises étaient séparées à cet endroit par un petit ravin dont le fond n'avait pas été exploré. Des postes détournés y avaient été établis, que les Français avaient érigés en un obstacle de 30 mètres de large dans le fond de la vallée devant cette partie de l'ouvrage Labordère. Cela se composait d'un enchevêtrement de fil de fer barbelés, d'un mur en mailles de fils de fer et d'une large tranchée pleine d'eau. De chaque côté de cet obstacle, à mi pente, se trouvaient les premières lignes françaises dans un épais sous bois. Plusieurs tranchées situées l'une dernière l'autre avec de solides blindages, des blockhaus et des nids de mitrailleuses. En outre, l'ennemi avait poussé des détachements de ce côté-ci du réseau de fils de fer dans des postes et des têtes de sapes isolées jusqu'à proximité des positions allemandes. Ainsi était l'ouvrage Labordère auquel on devait donner l'assaut le 20 juin. "Le matin du 20 juin était calme et clair", ainsi commence le très officiel récit. "D'un côté comme de l'autre tout s'était éveillé plus tôt que d'habitude: chez les Allemands dans l'attente du combat imminent, chez les Français parce que les 55ème et 255ème Régiments d'Infanterie relevaient précisément les premières lignes à l'aube. A 4 heures du matin précises, les batteries allemandes ouvrirent le feu. Quelques temps après commença le tir des Minenwerfers. d'heure en heure la violence du feu augmenta, l'effet du feu de l'Artillerie et des mines est dévastant. Chez l'ennemi tous s'entassent dans les abris et les parties blindées de la première ligne, car plus loin vers l'arrière, l'Artillerie allemande effectue un barrage avec son feu violent, qu'aucune homme vivant ne peut franchir. Dans les tranchées allemandes, les derniers préparatifs sont faits: des centaines d'échelles d'assaut sont prêtes pour escalader le parapet, les baïonnettes sont fixées, chacun prépare ses grenades, les Pionniers sont équipés de cisailles et d'outils pour le franchissement des obstacles. Toutes les montres sont réglées à la seconde. A 8h30 du matin, le feu de l'Artillerie et des mines augmentera jusqu'à son paroxysme, puis, à 8h50 minutes du matin, l'assaut se déclenchera sur tout le front". "Emportés par un enthousiasme brûlant et un désir de victoire au mépris de la mort, les braves soldats se jettent sur les tranchées françaises proches. Sans savoir eux même comment, ils enfoncèrent l'obstacle de fils de fer barbelés en un tournemain. Nombreux sont ceux qui restèrent accrochés aux fils de fer barbelés, arrachant leurs uniformes, tombant, bondissant à nouveau, plus lois, contre des blockhaus crachant le feu.. Dans le même temps, l'Artillerie avait déplacé son feu vers l'arrière. des deux côtés de la route de Vienne le Château, l'assaut fut des plus rapides. Ici, le feu préparatoire fut terriblement efficace. en un seul élan, les trois tranchées françaises furent prises, les premiers officiers et environ 100 hommes tombèrent entre nos mains dans les tranchées conquises et les abris. Lentement, nous pénétrâmes dans l'épaisse forêt ; là nous arrivâmes aux premières lignes françaises dans un combat rapproché brûlant et acharné. Chaque mitrailleuse, chaque blockhaus, chaque meurtrière, chaque abris, dût être attaqué séparément et conquis." Nos soldats accomplissaient des exploits pleins de sang froid et de courage face à la mort, dans un enchevêtrement de tranchées qui leur était inconnu, au milieu des obstacles, combattant contre un ennemi invisible mais bien présent. Un détachement de Würtembourgeois et son courageux chef, le Lieutenant Sommer, prirent d'assaut un blockhaus. Prenant pied sur le toit malgré le feu violent venant de tout côtés, ils mirent hors d'état de nuire, à coups de revolvers et de grenades, les meurtrières des troupes d'occupation et leurs mitrailleuses. Le jeune et héroïque officier tomba dans une tranchée voisine, frappé par la mort. Un petit détachement attaqua les positions arrières de l'ennemi, mais perdit le contact avec les camarades et fut massacré. C'est souvent ce qui arrive aux braves, qui dans le mouvement vers l'avant attaquent trop loin et tombent alors entre les mains de l'ennemi. Dans un autre secteur de l'ouvrage Labordère, où l'attaque dut se heurter aux plus importants obstacles et fortifications, le Lieutenant Walker réussit, avec une compagnie, à pénétrer dans l'étroite partie de la position ennemie. Encerclé devant et sur les côtés par un ennemi de loin supérieur, sans liaison avec son bataillon de l'arrière, il tint de longues heures sous un feu des plus violents. Enfin, à 8h00 du soir, de nouvelles compagnies percèrent par les deux flancs vers leurs camarades bravant la mort. Tout ce qui se trouvait sur leur chemin fut abattu ou fait prisonnier. "Le combat rapproché fit rage de façon aussi brûlante et sanglante dans le secteur est de l'ouvrage Labordère. Deux des plus jeunes vaillants chefs, les lieutenants Von Spindler et Fähnrich Kurz, du 120ème régiment d'Infanterie, réussirent avec peu d'hommes à sauter dans les tranchées ennemies et à se développer sur la gauche et la droite. Tout deux durent payer leur héroïsme de leur vie. Leur sang allemand n'a pas coulé pour rien. Lorsque vint le soir, la plus grande partie de l'ouvrage Labordère et toutes les positions des deux côtés de la route de Vienne le Château était entre les mains des Würtembourgeois et des Landwehrs prussiens. les nombreuses contre-attaques des français avaient été repoussés. 7 officiers, 627 hommes, 6 mitrailleuses, 15 Minenwerfers, plus de 1000 fusils et de nombreux outils, armes et munitions forment le butin des vainqueurs".

 

- Les combats des 30 juin et 02 juillet -

Labordère avait été pris. Le flanc droit de l'ennemi, à l'ouest, avait été enfoncé. Mais le Français est un adversaire acharné et tenace, on ne peut l'ébranler par bataillons entiers de la cime des arbres comme les Russes. Il voulait reprendre Labordère ! Ses obus, ses mines crépitaient jours et nuits au-dessus des tranchées conquises, une grêle d'acier, mais nos hommes tinrent bon ! Attaques après attaques, nos soldats tinrent ! Les 28 et 29 juin, il chercha à brûler et à enfumer les tranchées à l'aide de liquides enflammés et caustiques. Mais nos hommes ne vacillèrent pas. ce qu'ils avaient, ils ne le redonneraient pas. Labordère était, comme il est mentionné, simplement le commencement d'une série d'opérations, qui avaient pour but de chasser l'ennemi de ses positions sur les hauteurs. Cette série d'opérations visait la chaîne de forteresses qui se trouvaient sur les sommets des collines: Central, Cimetière, Bagatelle, en plus des retranchements dans lesquels ils s'étaient retranchés sur l'"Eselnase", le "Storchennest" et le "Rheinbabenhöhe". Cela commença le 30 juin. Jamais la Forêt d'Argon n'avait connu untel feu. Les tranchées françaises furent réduites en ruines et en morceaux. Le feu se répandait avec une précision effroyable. Les mines et les obus grêlaient. Ils frappaient dans les abris et les blockhaus et étouffaient des centaines d'hommes, ils éboulaient des casemates souterraines et des galeries de mines et tuaient tout ce qu'il y avait à l'intérieur. Les grenades et les dépôts de mines volaient dans les airs. Les morts gisaient comme les blés sous la grêle. C'est trop, effroyable ! Le lendemain encore, les prisonniers sont hagards. Ils appelaient l'enfer de cette matinée "la plus épouvantable expérience de toute la compagnie". A l'attaque ! Les diables de l'Argonne font irruption des tranchées. Là la colline est désolée, des torrents de glaise, des entonnoirs et des entonnoirs, parmi des souches d'arbres déracinés dépérissant. Les boucliers d'acier tenaient, grenades à la ceinture, grenade à la main, le fusil dans le dos et le masque à gaz sur la figure, ils se ruaient ainsi en trombe vers l'avant ! Les Pionniers sont parmi les premiers, avec des cisailles à barbelés, des haches, des passerelles en rondins de bois, ils luttent à l'avant. Les fils de fer barbelés déchiraient leurs uniformes, ils tombaient, se relevaient, en avant ! Le combat battait son plein. Les grenades claquaient, les crosses volaient en éclats. On devait lutter furieusement pour chaque parcelle de tranchée, pour chaque entonnoir. En près d'une demie heure, les ouvrages Central et Cimetière furent pris. Mais il n'y avait pas de halte pour nos hommes. Ils se ruaient à nouveau, sur les secondes lignes, derrière l'ennemi en fuite. Une compagnie du 124ème Régiment d'Infanterie attaque jusqu'au bas de la pente qui donne dans la vallée de la Biesme. cela est téméraire, leur chef, le Lieutenant Colonel, tomba. la compagnie est en danger, en passe d'être amputée. L'officier suppléant Jaeckle discerna à temps le danger et replia la compagnie vers les nouvelles positions du régiment. Central et Cimetière nous appartiennent. Des premières et secondes lignes de l'ouvrage avancé de Bagatelle, la fameuse tranchée rouge et noire, furent également attaquées rapidement et de façon audacieuse. L'ouvrage de Bagatelle incluait les retranchements de l'"Eselnase". L'"Eselnase" donnait à l'est abruptement dans la vallée du ruisseau de la Fontaine aux Charmes. Sur le versant opposé de la vallée encaissée, l'ennemi a établi un fort sur le "Storchennest". Le "Storchennest" sera repris ! Nos Feldgrau attaquent l'abrupt versant est en direction de l'"Eselnase". ce fait d'armes se détache de l'histoire officielle glorifiante: "La pente qui s'élevait de la vallée du ruisseau de Fontaine aux Charmes vers l'Eselnase, est aussi abrupte que la montagne rouge dans le Spichern. ce qu'a accompli l'incomparable et vaillant bataillon du 145ème Régiment d'Infanterie Royal dans l'attaque depuis le ruisseau de la Fontaine aux Charmes sur ces hauteurs sous le feu de flanquements des mitrailleuses de la croupe St Hubert, restera pour toutes les époques une pierre commémorative de la puissance d'attaque allemande et du mépris de la mort". Derrière l'ouvrage de Bagatelle, derrière les retranchements de l'"Eselnase", l'ennemi a établi une nouvelle solide position, un ouvrage de terre en arc de cercle: la fameuse "tranchée verte". Devant les barbelés de la "tranchée verte", l'attaque s'immobilisa provisoirement. A cet endroit la Forêt était de nouveau épaisse. on profita de cet arrêt des combats provisoires pour consolider rapidement les nouvelles positions conquises, installer des mitrailleuses et stocker des munitions. Mais ce n'était qu'une aile de la ligne de combats. La droite. Pendant ce temps, on combattait ardemment et de façon téméraire sur l'aile gauche, sur le Rheinbabenhöhe, qui touchait le Storchennest, et, dans sa partie sud la croupe St Hubert. Les Feldgrau se tenaient là dans les tranchées et étaient en proie à la fièvre du combat. Ils ne s'arrêtaient plus et attaquaient tout bonnement. C'était çà les soldats de l'Argonne ! Ils n'étaient pas seuls sur l'aile droite la plus éloignée, ils progressaient également volontairement. Sous le commandement du sous-lieutenant Schwenninger ils prirent les dernières tranchées de l'ouvrage Labordère que les français tenaient encore. sur tout le front qui traversait la Forêt d'Argonne, sur les hauteurs et dans les ravins, le combat faisait rage. On lutta particulièrement ardemment au sud-ouest de la pente pour le "Rheinbabenhöhe" et la croupe St Hubert. Les Français cherchaient à enlever le flanquement et firent tard dans la matinée de multiples contre-attaques désespérées. Entre le "Storchennest" et le "Rheinbabenhöhe" coule le ruisseau de Fontaine Madame. dans le fond de cette vallée, l'ennemi avait érigé en guise de barrière un solide blockhaus. Avec une poignée d'hommes courageux, les adjudants Schäfer et Reinarss de la 4ème compagnie du 30ème Régiment d'Infanterie écrasèrent les occupants du blockhaus crachant la mort, à l'aide de grenades. La vallée du ruisseau de Fontaine Madame est libre ! Le nombre de ces faits téméraires est légion. Qui pourrait les nommer, qui pourrait donner les noms de tout les courageux qui en ces jours donnaient leurs vies courageusement dans les retranchements ! Les plus splendides faits sont restés inconnus, car les témoins ont disparu et tous les audacieux dont le nom devrait être paré d'une gloire immortelle, meurent en silence et inconnus. Honneur à la mémoire des inconnus et des anonymes ! Mais les Pionniers ne doivent pas être oubliés. Comme ils combattaient toujours de façon admirable ! Le sous-officier Hauff, de la 4ème compagnie du 29ème Régiment de Pionniers, pour n'en citer qu'un seul, aperçu au cours d'un combat rapproché, une mitrailleuse dans un blockhaus qui mitraillait notre flanc. Téméraire, il se jeta à l'assaut du blockhaus et lança à l'intérieur une grenade par la meurtrière. La mitrailleuse se tue et ceux qui la servaient ne bougèrent plus. Le soir tomba sur la Forêt et le silence s'établit lentement. Seuls les fusils et les grenades claquaient encore sur la croupe St Hubert jusque dans la profondeur de l'obscurité. Le Français est battu, renversé de ses retranchements sur les hauteurs. Il rassemble les débris de ses compagnies et colonnes éclaircies et éparpillées et s'enterra en hâte. Fébrile, il se préparait déjà à résister sur la "tranchée verte" déjà fortement renforcée - La "tranchée verte" - Comme nous l'avons dit, l'assaut des braves qui tentaient de progresser vers l'ouvrage de Bagatelle et le "Eselnase", fut stoppé devant les barbelés de cet ouvrage. Des avants postes furent poussés dans la nuit vers l'ouvrage. La "tranchée verte", telle qu'on la surnomme, est de loin l'un des plus robustes ouvrages. Un réseau de barbelés de 10 mètres de large est établi devant, des blockhaus et des abris dissimulés dans les sous-bois épais en font une effrayante fortification. Il s'étire sur les hauteurs sur une longueur d'environ 100 mètres. S'emparer de cet ouvrage robuste en un coup de main sans l'avoir bouleversé auparavant par un feu d'artillerie aurait été absurde. L'attaque originellement prévue pour le lendemain, le 1er juillet, fur de ce fait repoussée au 2 juillet. Le 1er juillet, le combat reprit de mille feux sur l'ensemble du front. Ce furent de violents combats de tranchées mais les plus grosses actions n'eurent pas lieu. De toute part, on avait à faire pour maintenir en l'état les tranchées, finir de les construire, transporter les munitions et les vivres. Au matin du 2 juillet, la Forêt se mit à mugir et à craquer de rechef comme le 30 juin. Les tirs de nos canons et de nos Minenwerfers martelaient la "tranchée verte" et les positions ennemies situées plus au sud. L'ouvrage fut écrasé. A 5h00 du matin, l'attaque fut engagée. Nous avions pour but d'emballer la "tranchée verte" par l'est, le nord est et le nord et enfin de l'attaquer par l'arrière en une soudaine volte face afin d'encercler l'ennemi. A 5h00 commença tout d'abord l'attaque à l'est. Là, à l'est de la "tranchée verte" proprement dite, l'ennemi tenait encore des positions isolées sur la pente du "Rheinbabenhöhe" et de la croupe St Hubert, où le 30 juin il avait pu encore se cramponner. ce point d'appui fut attaqué en premier. Une partie du 30ème Régiment d'Infanterie et du 173ème Régiment d'Infanterie l'arrachèrent dans de sanglants combats rapprochés qui désespérèrent l'ennemi contre-attaquant. En des points isolés, des blockhaus, des portions de tranchées furent combattues jusqu'à la nuit. Pendant le même temps, l'attaque au nord qui devait préparer le mouvement de volte face fut déclarée. C'était la partie la plus délicate et la plus importante de l'action. Le Commandant Freiherr Von Lupin, commandant le 123ème Régiment de Grenadiers, avait adressé, pour la mise en place de cette attaque décisive et audacieuse, les ordres suivants:
- I -
1- Le 123ème Régiment de Grenadiers attaquera le camp fortifié qui se tient devant lui à 5h00 du matin et atteindra la ligne de croisement du layon de la Harazée-Servon-Montblainville.
2- Toute l'artillerie se tiendra prête à ouvrir le feu, qu'elle réglera avant 3h00 de l'après midi, et qui de 3 à 5 et particulièrement de 4 à 5h00 de l'après midi entretiendra un feu toujours plus nourri.
3- Evacuation des premières lignes conformément à la demande immédiate de l'observateur d'artillerie se trouvant en première ligne (spécialement le premier bataillon).
4- 4h30 de l'après midi. Retour des troupes d'assaut dans les positions évacuées et mise en place des colonnes d'assaut pour l'attaque.
5- Le 2ème bataillon tiendra une compagnie prête sur l'aile droite et neutralisera sous son feu l'adversaire sur la route Servon-Montblainville.
6- Le 3ème bataillon se tiendra concentré dans la tranchée de la 7ème compagnie en direction de l'est et se rattachera à l'aile gauche du régiment.
7- La compagnie de pionniers remettra un chargeur de balles éclairantes à 10 pistolets et donnera à chaque bataillon de Landwehr le signal de retraite sur mon ordre.
8- Le 1er bataillon sera guidé par des chefs absolument fidèles (4 sous-officiers ou caporaux, familiarisés avec le terrain et les sapes), et se tiendra jusqu'à 4h00 de l'après midi au point X 9- Je me tiendrais dans l'abris bétonné du camp situé sur le chemin B

II
1- Feu des mortiers de 21 cm (batterie Kundt) sur les tranchées et les huttes situées à l'arrière jusqu'à 4h45 de l'après midi, à l'est et à l'ouest de la laie de la Harazée, à partir de 4h45, uniquement à l'ouest de la laie de la Harazée.
2- Feu des s.F.H. (batterie Schirmer) jusqu'à 4h45 de l'après midi sur les huttes et tranchées ennemies situées à l'angle nord est du carrefour, à partir de 4h45 feu uniquement à l'ouest de la laie de la Harazée. Feu des s.Minenwerfers jusqu'à 4h55 de l'après midi sur l'angle nord est et allongement du feu.
3- Feu des I.F.H (batterie Köpf) jusqu'à 4h55 sur les tranchées situées devant notre position. A partir de 4h55 allongement du feu

III Ordres du Major Stockhaus (Commandant du 2ème bataillon de Landwehr)
1- Le Major Stockhaus prendra en charge la conduite de la retraite avec les bataillons Hayl et Stockhaus.
2- L'attaque a pou but plusieurs points des positions sud françaises conquises le 30 juin.
3- Le bataillon Hayl se tiendra à 4h00 de l'après midi au point X. Le bataillon Stockhaus à 4h00 au point X=B. Là bas ils seront commandés par des chefs sûrs.
4- Chaque bataillon recevra 40 réimpression de croquis des chemins d'approche.
5- Le Major Stockhaus dirigera le repli tout d'abord depuis le poste téléphonique à gauche de la sous section. Je me tiendrais à gauche dans le camp au chemin B Au 3ème point on ajoutera encore: dès que le régiment de grenadiers aura conquis 200 mètres de terrain vers l'avant, les bataillons devront s'élancer par les chemins d'approche et de liaison et accomplir un virement vers la gauche. En tenant compte du terrain totalement inconnu des troupes, il convient d'ajouter qu'après avoir quitté les tranchées, chaque homme devra avoir le soleil dans le dos. Conformément aux ordres, les grenadiers prirent, à la minute fixée, la direction du carrefour au nord de la Harazée. L'assaut sera mené avec une telle puissance et une telle rage, que les grenadiers würtembourgeois sous les ordres du capitaine Hausser et Freihern von Perfall, purent progresser jusqu'au milieu du camp français à la laie de la Harazée et même au-delà. Derrière les grenadiers en progression, les deux bataillons de Landwehr obliquaient plein est et laissaient la "tranchée verte" dans leur dos. Le plan avait réussi. Les Français, qui se trouvaient encore dans les camps et abris au carrefour, s'élancèrent de façon confuse et au hasard vers l'avant dans la "tranchée verte", afin d'y trouver un couvert. Les grenadiers prirent d'assaut la "tranchée verte" par derrière, presque simultanément ils étaient assaillis par le 67ème et le 145ème au nord est et à l'est. La garnison de la "tranchée verte" complètement encerclée de tout côté, entourée d'un mur de baïonnettes, déposa les armes en grande partie et se rendit. Seul un petit reliquat combattait désespérément et héroïquement, un combat sans espoir contre une puissance supérieure. parmi ces braves se trouvait le commandant du 151ème Régiment d'Infanterie français, le Commandant Rémy. Malgré des sommations répétées, il ne se rendit pas. Il tomba dans un furieux corps à corps. La "tranchée verte" est conquise. Avec elle, les retranchements ennemis des hauteurs, pour lesquels nous avions travaillé pendant de longs mois, et que pendant des mois nous avions assiégé, étaient entre nos mains ! Les troupes de l'Argonne avaient combattu héroïquement. Il faisait nuit, mais le calme n'était pas là. Sans une minute de pause on travaillait. Les cadavres furent dégagés, horrible travail des soldats ! Les blessés furent emportés dans les tranchées et les abris. Les tranchées conquises sont aménagées immédiatement de nouveau pour la défense. Elles sont pour partie détruites jusqu'au plancher. Les sacs de sable, qui protégeaient des obus, furent traînés et disposés scientifiquement. Les boucliers d'acier furent enfoncés, les mitrailleuses postées. Si l'ennemi arrive, nous sommes prêts ! Les postes d'écoute sont disposés, les sentinelles se tiennent dans les sombres tranchées. Le téléphone est déjà réinstallé. A présent, il peut venir ! Mais il ne vint pas. Ni la nuit, ni les jours suivants. Il en avait assez, il était épuisé. Les combattants de l'Argonne étaient comme au paradis: pendant quelques jours, pas une torpille, pas un obus, pas une grenade, pas un obus à gaz, pas une explosion, rien. Cela, ils ne l'avaient pas vécu depuis des mois. Les hauteurs à l'ouest de l'Argonne, ces citadelles de levées de terre, ces réseaux de fils de fer barbelés, ces blockhaus, étaient conquis. Ils avaient rejeté l'ennemi, comme aux jours de la marche victorieuse. L'hiver, la pluie, les tranchées ne pouvaient rien enlever à leur courage et à leur puissance. A présent, ils étaient en haut ! Avant tout, après des jours, le butin du 30 juin et du 2 juillet se laissait apprécier: 37 officiers, dont 1 Commandant et 4 Capitaines, 2519 hommes de troupe de 3 divisions différentes capturés, 28 mitrailleuses conquises, plus de 100 mortiers, 1 canon revolver, environ 5000 fusils, plus de 30000 grenades, de nombreux outils de parcs de pionniers, et des dépôts de munitions pleins d'armes, de munitions et d'appareils de combat en tout genre. Quotidiennement, de nouvelles pièces de butin furent trouvées dans les tranchées et les abris éboulés. Les pertes de l'ennemi étaient effrayantes: jusqu'au 8 juillet, environ 1600 français furent ensevelis. Le nombre des prisonniers du 20 juin au 2 juillet s'élevait à près de 3200 officiers et hommes de troupe. Le nombre des morts, en comprenant ceux ensevelis et non retrouvés, pouvait s'élever à 200. A cela s'ajoute le nombre des blessés, qui avaient réussi à échapper aux nôtres. Ce nombre, fixé au plus bas, monte les pertes totales françaises dans ces combats à 7000 ou 8000 hommes. Quelques jours plus tard, le 9 juillet, eu lieu à la lisière de l'Argonne une cérémonie religieuse d'action de grâce. Tous les glorieux régiments des derniers combats étaient représentés. Le Kronprinz décora 600 braves de la croix de fer. Tous ceux qui avaient combattu là-haut dans les tranchées, devaient l'avoir ! Les visages tannés par le temps des combattants de l'Argonne s'éclairaient lorsque le Kronprinz leur témoigna sa plus grande reconnaissance. Oui, ils voulaient tenir, tout comme ils avaient tenu jusqu'ici, et ne pas vaciller ni céder.

 

- Cote 285 - La Fille Morte -

La grande opération n'était en aucun cas terminée. A l'ouest de la Forêt d'Argonne, le plus sanglant des travaux était fait. A l'est il était imminent. Comme dans l'ouest de l'Argonne, dans le Bois de la Gruerie, à l'est le Français s'était retranché sur les croupes des collines boisées. Là, la Forêt d'Argonne atteint son point le plus haut à la cote 285. Du haut de cette cote, que traverse l'ancienne voie romaine, on bénéficie d'un vaste panorama sur la Forêt d'Argonne, à l'est sur les chaînes de collines de Vauquois et Montfaucon, à l'ouest sur le pays accidenté de l'est de la Champagne. Des patrouilles allemandes et de petits détachements d'Infanterie avaient, comme il a été relaté, foulé cette hauteur pendant la mémorable marche en avant. Le soir du 29 septembre (1914), ils avaient pourtant été contraints de se retirer devant les puissantes forces ennemies, et depuis ce jour, la cote 285 était aux mains de français. La cote 285 avait deux contreforts, au nord est la cote 263, à l'ouest la cote du nom de Fille Morte. L'effrayante signification militaire qu'avait pour l'ennemi cette cote escarpée au nord, est évidente: une observation remarquable, un champ de tir dégagé contre nos positions et nos liaisons vers l'arrière ! Aux alentours, les collines boisées étaient déchirées par des ruisseaux, des ravins, une forêt vierge et des croupes boisées - la nature avait fortifié les hauteurs grâce à des ravins, des tranchées et des abattis d'arbres. Les positions françaises étaient supputées êtres à 1000 mètres des crêtes, poussant vers le nord est, le nord et le nord ouest. Elles se trouvaient sur les croupes précédemment occupées du verrou de Bolante et du Saillant dans la vallée des Courtes Chausses. Pendant 9 mois, depuis octobre, on s'y agrippait et chaque mètre du sol forestier était disputé. Début janvier et à la mi-février, les combattants de l'Argonne avaient repoussé l'ennemi dans de sanglants combats sur tout le front depuis Bolante jusqu'à la cote 263. Sans relâche, l'adversaire mettait en place des contre-attaques désespérées afin de reconquérir ses tranchées perdues. la Forêt buvait du sang, jours et nuits, de nombreux combattants de l'Argonne gisaient froids et raides dans la Forêt. A l'aide de sapes, de galeries de mines, de torpilles et de grenades, les hommes de l'Argonne grignotaient les positions ennemies dans des combats longs de plusieurs mois, à travers les buissons, la terre et les pierres. A présent, ils se trouvaient à 50 pas, 30 pas, à plusieurs endroits jusqu'à 20 pas de l'ennemi. Les grenades volaient d'une tranchée à l'autre, la mort était proche. Sur une étendue de 3 à 4 kilomètres, les positions ennemies se trouvaient en travers des nôtres, comme un haut mur imprenable crachant la mort. L'ennemi avait bâti cette forteresse naturelle avec tous les moyens imaginables. Devant la cote 285, se trouvait le ravin d'Osson, devant la Fille Morte, le Ravin des Meurissons. A l'ouest de la fille Morte une vallée transversale: la vallée des Courtes Chausses. Dans ces ravins et gorges se trouvaient des sous-bois impénétrables et des buisson d'épines. L'ennemi avait renforcé ces abattis naturels par des fils de fer barbelés tendus, des chevaux de frise et des rouleaux de fils de fer. Pas une fois un chat n'aurait pu s'y glisser. Devant la ligne de feu il avait commencé des barrages de fils de fer barbelés. Puis se trouvaient les tranchées ennemies elles-même. Elles étaient profondes de 2 à 3 mètres, étroites, sinueuses, un labyrinthe, des réseaux de tranchées, l'un derrière l'autre, reliées entre elles à la cote 285 et à la Fille Morte par un système de boyaux de liaison. Les tranchées étaient consolidées par des madriers, des murs, du ciment, des grillages, des fascines et des murs de sacs de sable. A plusieurs endroits elles étaient transformées en tunnels grâce à un ou deux mètres de couverture. Tous les 5 ou 6 pas elles étaient coupées par de puissants épaulements. Des blockhaus blindés absolument sûrs avec de nombreuses mitrailleuses l'un à côté de l'autre et l'une sur l'autre formaient une suite de forts. C'était des tranchées exemplaires. Derrière le premier réseau de tranchées se trouvaient à nouveau des barrages de fils de fer, des chevaux de frise, des grillages, puis venait le second labyrinthe de tranchées, construit de façon analogue à la première ligne de feu, des épaulements, des blockhaus. derrière suivait le réseau de tranchées suivant. Ca et là, sur le terrain intermédiaire, se trouvaient encore des blockhaus avec des mitrailleuses comme point d'appui. Aussi bien dans les positions de l'avant qu'également dans celles de l'arrière, de vastes abris, des cavernes et des catacombes étaient creusées dans la sol et le roc pour les troupes d'occupation et les réserves. Plus loin encore, se trouvaient enterrés, les Minenwerfers lourds et légers, les mortiers de bronze et les canons revolver et derrière enfin, dans la Forêt, les batteries lourdes et légères, une infinité de bouches à feu. Des barrages de fils de fer, des tranchées, des blockhaus, des batteries de Minenwerfers et de canons - Voilà à quoi ressemblait la forteresse, des retranchements qui formaient comme un barrage en travers de l'Argonne occidentale. Même le coeur des plus braves battait de plus en plus vite. Comme à l'ouest de l'Argonne, les fusils, les torpilles, les obus et les explosions avaient facilement fait disparaître le sous-bois et tout ce qui verdissait (à l'exception de ce qui se trouvait dans les ravins). La terre apparaissait nue et dégarnie, les arbres étaient brisés jusqu'aux racines. Même les croupes 285 et Fille Morte, étaient de gigantesques ruines, qui étaient déchirées par des marécages brumeux et de profondes gorges et ravins. Mais bien que tout soit dénudé, bien que les pentes et les hauteurs étaient nues devant nos yeux, il y avait tout de même quelque chose à voir des forts et des retranchements ennemis ! Ca et là, une étroite levée de terre jaune ocre, les poutres saillantes d'un blockhaus, des choses insignifiantes, un morceau de fil de fer barbelé que le soleil faisait briller, rien de plus. Cette hauteur dominante, qui permettait l'examen par l'ennemi de nos positions et de nos voies de communication vers l'arrière, ce barrage, qui se trouvait en travers de nous, menaçant et effroyable, devait tomber entre nos mains ! Peu importe si cela devait être par l'acier et le granit. Si elle nous appartenait, alors nous nous tiendrions dans l'Argonne occidentale à travers toute la Forêt d'Argonne, du nord de Vienne-le-Château jusqu'au delà de Boureuilles à l'est, dans des positions supérieures, un rempart de baïonnettes et de certitude qu'aucune puissance au monde ne pourrait briser. Le combattant de l'Argonne n'hésite pas. Pendant qu'à l'ouest de l'Argonne, les camarades s'emparent de Labordère, de Central, de Cimetière, de Bagatelle et de la "Tranchée verte", à l'est de l'Argonne, les courageux "grauens" préparent l'attaque de la cote 285 et de la Fille Morte. Cela devrait être les plus durs combats de toute la vallée. L'ennemi avait senti se qui se préparait. L'activité renforcée de l'Artillerie et le tir de nouveaux Minenwerfers et de nouvelles batteries ainsi que d'autres signes l'avaient averti. Plus encore, il avait lui-même planifié depuis quelques temps d'attaquer le 11juillet, mais par la suite, l'attaque fut repoussée au jour de la fête nationale française: le 14 juillet. En effet, les troupes françaises devaient progresser sur tout le front d'Argonne et sur les secteurs est et ouest, le 5ème et le 32ème Corps d'Armée réunis en plus de huit divisions ! Dans le bois de la Gruerie et à l'ouest de la Forêt d'Argonne cette attaque eu lieu comme prévue, mais fut repoussée avec d'importantes pertes pour l'ennemi. Dans l'Argonne orientale par contre, le plan fut totalement contrecarré. Le dispositif d'attaque de l'adversaire n'était, comme il le laissait penser, en aucun cas un obstacle pour l'offensive prévue des combattants de l'Argonne. L'adversaire était armé jusqu'aux dents. Il possédait des grenades et des munitions en abondance. Les dépôts de ses crapouillots et de ses batteries étaient pleins à ras bord. Troupes et Réserves en nombre croissant se tenaient prêts. La gloire et le butin étaient d'autant plus grands ! Le 13, avec le lever du jour, nos batteries et nos minenwerfers devaient commencer la préparation d'Artillerie. Une attaque parallèle d'une position ennemie avancée sur notre aile gauche dut faire commencer l'attaque à 8 heures, l'assaut sur tout le front était prévu pour 11h30 Qui se porte volontaire pour les premières colonnes d'assaut ? Tous sont volontaires ! On dut tirer au sort. Après une année de guerre, après une année des pires efforts et des pires dangers. Ils sont ainsi ! Si tu rencontres un combattant de l'Argonne, alors, ôte ton chapeau ! On doit leur vouer respect et admiration. Le fameux 13 juillet arriva et cela commença. Le jour commençait à poindre. Je relate, pour compléter les rapports officiels de ces glorieux jours de bataille. Le matin était frais et couvert. Alors qu'il ne faisait pas totalement jour, le premier obus lourd arriva mugissant et gargouillant, et tomba sur les positions ennemies. Il éclata en un vacarme tonitruant et répandit une longue et large mitraille d'explosifs, de mottes de glaises et de pierres. cela fuse ! Dans les mêmes minutes qui suivent, c'est comme sir l'enfer s'ouvrait. la Forêt se réveille, éclate et fulmine, les collines boisées tonnent. De tous côtés cela bourdonne, siffle et hurle, l'anéantissement et la mort fulminent dans les positions ennemies, qui sont vite enveloppées d'un brouillard gris-vert de poussières et d'épaisse fumée. Par curiosité, nos hommes lèvent la tête au-dessus du parapet. Ils veulent voir comment ils ont réprimander, là, devant ! Mais ce plaisir est de courte durée, car maintenant batteries et crapouillots français ouvrent le feu à leur tour, et ce feu augmente d'heure en heure, jusqu'à la violence la plus folle. Cette attente passive des heures durant, sous une grêle d'obus, est plus usante et funeste que l'attaque proprement dite. A 8h00 du matin, à l'aile gauche, à peu près à mi-chemin entre la cote 263 et la cote 285, le 5ème Chasseur Silésien et un bataillon d'Infanterie de Metz montèrent à l'attaque des points d'appui avancés français. En 7 minutes, les trois premières lignes de tranchées sont renversées. L'ouvrage avancé français est encerclé de tous côtés de sorte à empêcher l'ennemi de prendre par la suite la grande attaque en écharpe. Pendant ce temps, les feux de l'artillerie et des minenwerfers atteignent une efficacité de plus en plus grande. De nombreuses tranchées, aussi bien du côté ennemi que du côté allemand, furent nivelées au cours de la matinée. En un point du front, une mine frappa un dépôt de grenades français, qui vola dans les airs en un vacarme terrifiant. Derrière les premières lignes de feu, on trouva les jours d'après 105 tués français dans un abris bétonné conçu pour résister aux obus de mortiers lourds. malgré le feu destructeur, nos observateurs d'Artillerie restent à leur poste et font les rapports nécessaires sur les effets et la situation du feu. En trois points différents, les Lieutenants Kayser et Fritsche et l'officier suppléant Bok persévèrent en tête de sape à quelques mètres des tranchées ennemies pendant toute la matinée et dirigent de là, sous le feu, leurs batteries. Juste avant l'assaut, deux Pionniers, le vice-sergent-major Bansamier et le sous-officier Tuttenuit, poussèrent en sape jusqu'aux positions françaises et y placèrent une double charge explosive sous une grêle de grenades et de bombes en tout genre. A exactement 11h30 du matin, la charge explosa. Une violente explosion ébranla le sol, et à l'instant d'après, les premiers soldats des deux premiers bataillons du régiment d'Infanterie et des Pionniers s'élançaient par l'entonnoir de mine sur les tranchées ennemies. L'attaque s'engage ! En un tournemain les pentes non encore endommagées du réseau de barbelés sont arrachées et découpées, de la gauche et de la droite, les grenades volent dans les tranchées françaises, et déjà la 1ère compagnie du 16ème bataillon de Pionniers se jette dans les tranchées ennemies en un assaut téméraire. Après environ deux minutes, la première vague d'assaut a déjà renversé les tranchées de l'avant et poursuit l'assaut contre les 2ème et 3ème lignes. A la même seconde sur tout le front, de Bolante jusqu'à la voie romaine, les colonnes d'assaut sont brisées. En de nombreux points, au moment où ils sortirent des tranchées, accueillis pars des tirs rasant d'infanterie et de mitrailleuses. Tout dépendait de la réussite du franchissement du réseau de barbelés à toute vitesse. En un point particulièrement dangereux, un jeune officier, le Lieutenant Freiherr von Marschall, se précipita loin devant ses chasseurs. Avec un simple sac, il sauta le réseau de barbelés large de quatre enjambées. En Avant ! Ses hommes le suivaient. Devant eux se trouvait un blockhaus, d'où deux mitrailleuses crachaient la mort et la ruine. Les chasseurs se jetèrent dessus, lancèrent leurs grenades à travers les meurtrières et l'entrée arrière à l'intérieur du blockhaus et mirent les servants de la mitrailleuse hors d'état de nuire. Trois, quatre, cinq tranchées furent débordées, puis cela allait en descendant dans le ravin des Meurissons. Là se trouvait enfoui, dans une position couverte, un minenwerfer, qui jusqu'au dernier instant avait été servi par un courageux capitaine d'artillerie française. Ses hommes gisaient à côté de lui morts ou grièvement blessés. Il est justement sur le point de tirer l'une de ses redoutables mines, lorsqu'un fils de paysans de la frontière sileso-polonaise, le chasseur Kucznierz, s'élança sur lui et lui cria " tu nous a envoyé des mines, voici ta récompense ". L'officier lève son revolver, mais la crosse du silésien est plus rapide que la balle du Capitaine. Les hardis chasseurs donnèrent à nouveau l'assaut. Dans la chaleur, dans l'ivresse des combats, ils ne s'aperçurent pas que leur objectif, la Fille Morte, avait déjà été atteint, et ils progressèrent bien au delà, jusqu'au ravin des Courtes Chausses. Entre temps, sur les hauteurs, les officiers en parfaite connaissance de la situation, avaient retenu une grande partie de leurs compagnies et commencèrent aussitôt un repérage et la construction précaire d'une nouvelle position. Mais un petit détachement d'audacieux, qui ne s'était pas arrêté, poursuivait l'assaut, jusqu'au milieu des batteries et du camp français. A leur tête, le Lieutenant English de la 3ème compagnie du 6ème Bataillon de Chasseurs. Les chasseurs tentèrent de reprendre les canons conquis, il y en avait quatre léger et quatre lourds. Toujours subtiliser ce qui peut l'être ! Ils ne comprenaient aucune plaisanterie. De toute leurs forces, ils essayaient d'arracher les monstres gris au sol de la Forêt. Mais cela est impossible. Ils sont trop lourds. Alors au minimum, il ne doit pas les laisser retomber intacts aux mains de l'ennemi ! A l'aide de piques, de pelles, avec ce qu'ils avaient dans la main, ils frappaient les mécanismes de direction, d'obturation et les châssis des canons. Au dernier moment, le chasseur Wistoba et le caporal Broll, bourrèrent rapidement par l'avant le fut de deux canons avec des grenades et démolirent de ce fait la chambre et d'autres parties. Broll lança ensuite deux grenades dans le dépôt de munitions qui se trouvait à proximité et qui vola dans les airs dans un bruyant fracas. Terminé ! Maintenant, en arrière. Plus une seconde à perdre. Déjà les réserves françaises approchent. Et en effet, les téméraires soldats réussirent par chance à rejoindre leur bataillon. En un autre point, les chasseurs en toute hâte mirent méthodiquement en pièces et détruisirent un puissant moteur qui servait au fonctionnement d'une foreuse à air comprimé dans les galeries de mines. Tout cela se déroula en à peine deux heures. Sur tout le front à l'est de la Forêt vallonnée, le combat faisait rage. Les obus des canons qui bombardaient les batteries et les communications arrières, mugissaient et hurlaient au dessus des combattants. Sur toutes les parties du front, l'offensive progressait vers l'avant avec succès. De glorieux faits d'armes furent accomplis. Tout particulièrement un bataillon du 135ème Régiment d'Infanterie sous les ordres du Capitaine Wegener se distingua dans l'assaut de la Fille Morte. Le bataillon, avait attaqué depuis la " Schwarze Kuppe " (la croupe noire), une des hauteurs boisées de la Fille Morte, et devait tout d'abord prendre d'assaut un point d'appui ennemi, le célèbre " Steinfestung " (forteresse de pierres), extraordinairement construite et que l'ennemi défendait désespérément. Le Lieutenant d.R. Breithaupt, de la 2ème Compagnie contourna la " Steinfestung " avec son peloton par le ravin des Meurissons et tomba sur l'ennemi par derrière, anéantissant les troupes d'occupation. On lui doit en premier lieu la conquête de ce puissant ouvrage avancé. Partout, l'ennemi se défendait avec une grande obstination et un courage désespéré. Plus particulièrement, des combats sanglants se produisirent à Bolante. Là, nos troupes devaient travailler pas à pas dans l'enchevêtrement de sapes et des boyaux de communication. A la sortie d'une de ces tranchées, un officier français avait installé un système qui abattait l'assaillant dès qu'il se trouvait à l'autre bout. A côté de lui, un soldat était à genoux avec un deuxième fusil, qu'il tendait rechargé à son Lieutenant après chaque tir. Seulement, après un long moment, à l'aide d'une grenade, un officier allemand réussit à mettre hors d'état de nuire cet héroïque adversaire. Sur l'autre aile, à l'est de la voie romaine, l'attaque n'a pu conquérir le terrain que lentement et avec le plus grand effort. En cette partie du front, le Lieutenant Johanssen, l'un des courageux chasseurs silésiens, acquit un grand mérite en distinguant à l'instant décisif, la possibilité de se saisir par le flanc ouest de soldats épuisés du 130ème et en les prenant de cette manière par le flanc. A ce même moment, 500 mètres plus à l'est, le Lieutenant Michterlein avec la 1ère Compagnie du 130ème Régiment d'Infanterie, perça les lignes ennemies et pénétra dans des blockhaus, dans lesquels il prit de nombreux prisonniers, une mitrailleuse, deux canons à ânes et deux canons revolver. La cote 285 était prise ! Les Français déversaient de puissantes réserves dans la Forêt et firent dans le courant de l'après-midi une série de contre-attaques désespérées. Sans succès ! Le 144ème et les chasseurs les rejetèrent aussi souvent qu'ils avancèrent. Le feu de l'Artillerie lourde française persista sans une pause jusque tard dans la soirée. Le Français tambourinait. Il envoya une quantité monstrueuse de munitions dans la Forêt et sur les croupes, dont des obus à gaz. La nuit vint enfin. Cela devint calme. L'ennemi était battu, ses contre-attaques héroïques partout repoussées. Sur tout le front, les Français se trouvaient juste devant les nouvelles positions allemandes. Des deux côtés, toutes les forces étaient fébrilement occupées au travail des tranchées. De nouvelles sapes, de nouvelles tranchées étaient creusées. On devait être prêt dès que le jour se lèverait. Les fusées éclairantes s'élevaient dans le ciel au dessus de l'affreux chaos de décombres et de morts. L'émoi et l'effort des journées ensanglantées était devenu ineffable. La joie passionnées de la victoire régnait chez les combattants de l'Argonne. Les courageux Régiments avaient épinglés de nouvelles gloires à leurs étendards. Ils avaient conquis les retranchements ennemis des hauteurs sur une largeur de 3 kilomètres et une profondeur de 1000 mètres. 3688 hommes et 68 officiers étaient entre leurs mains auxquels s'ajoutaient 3 à 400 blessés. 2 canons de montagne, 2 revolvers, 6 mitrailleuses et une grande quantité de matériel furent saisis. Les audacieux chasseurs avaient brisé et rendu inutilisables 8 canons . Chaque hommes avait fait tout son possible pendant ces journées. Dans le courant de la soirée et de la nuit, de nombreux blessés qui avaient reçus déjà tôt le matin une balle dans le bras ou la jambe ou qui avaient été blessés autrement, se rendirent au post d'infirmerie. Mais ceux-ci s'étaient malgré tout battu jusqu'au dernier instant, jusqu'au soir, afin d'être présent et de ne rien manquer - Les hauteurs sont à nous - Les hommes de l'Argonne avaient accomplis un miracle de par leur passage et leur vaillance. Sur tout le front de la Forêt, ils avaient pataugé dans le sang jusqu'aux chevilles, dans le sang des ennemis et hélas ! dans le sang des camarades, leur front était couvert de lauriers. Maintenant, ils sont en haut ! Les grandes opérations, qui commencèrent le 20 juin, s'achevèrent victorieusement les 13 et 14 Juillet. Un Hourra pour les officiers et les hommes ! 116 officiers et plus de 7000 hommes faits prisonniers ! Plus de 4000 ennemis tués et enterrés. En tout juste un mois, les hommes de l'Argonne ont infligé aux français des pertes que l'on peut au minimum estimer à 17000 hommes. Au service religieux qui eu lieu le 27 Juillet, le Kronprinz se présenta devant les troupes. " Camarades ", dit le Kronprinz, " Je profite de l'occasion de cette cérémonie religieuse pour vous transmettre les remerciements de ses majestés le Kaiser et le Roi, ainsi que les miens, pas seulement pour la dernière attaque qui exigea de grands sacrifices mais qui a abouti à un grand et magnifique résultat, mais également pour l'activité fidèle et dévouée de la totalité des 11 mois. Nous protégeons le dos de nos camarades à l'est et nous continuerons encore longtemps, si Dieu le veut, jusqu'à ce qu'il soit possible de régler énergiquement le compte de nos adversaires, les Français. Je sais que je peux compter sur vous à ce sujet, je le sais et je vous en remercie. Pour sa majesté l'empereur et le roi, notre généralissime, Hourra ! Hourra ! Hourra ! " Mais le combat là haut dans la Forêt se poursuit. Les canons cognent et font du vacarme, et les obus abattent les arbres. Les mines volantes cinglent l'air et cherchent à découvrir leurs proies. Les mitrailleuses martèlent. Les Pionniers creusent sous terre. Il n'y a pas de pauses. Là où cela est nécessaire, les lignes sont améliorées. L'adversaire veut reprendre ses tranchées et sera rejeté dans le sang. Des blockhaus ennemis volent dans l'air. Du 20 Juin au 20 Juillet, 52 mitrailleuse furent prises. Le 2 Août, les " Grauen " progressèrent inopinément à la baïonnette dans l'Ouest de l'Argonne et prirent de nouvelles tranchées ennemies. 4 officiers et 163 hommes tombèrent entre leurs mains. Ainsi que 2 mitrailleuses. Le 12 Août, un ouvrage ennemi au nord de Vienne-le-Château, le célèbre ouvrage Martin, fut conquis et 4 officiers et 240 hommes furent faits prisonniers. 350 ennemis furent enterrés, ils prétendaient défendre l'ouvrage conquis contre des attaques acharnées. De nouveau, les combats lancèrent des lueurs, et la musique de la Forêt d'Argonne ne se tue aucun jour et aucune nuit. L'ennemi se cramponnait aux bordures des hauteurs et des croupes, inébranlables, trimant et creusant. En revanche, il s'était niché dans un solide ouvrage qui devait empêcher la progression de l'Armée d'Argonne. L'ouvrage Marie Thérèse. Le 8 septembre il devait nous le céder. Comme les 20 et 30 juins, et les 2 et 13 juillet, le 8 septembre fut pour l'ennemi un jour noir. Ce combat, j'y ai assisté d'on ne peut plus près, et ce qui suit est ce que j'ai vécu. - L'attaque victorieuse sur Marie Thérèse - A 6h00 du matin, il fait un froid rigoureux dans l'Argonne. Mon chef, le Lieutenant v. M., chasseur à cheval, et moi, roulons enveloppés dans notre manteau dans la nuit noire. Les étoiles brillent haut et froides comme en hiver. Les canons frappent lourdement. Même si dans la nuit ici, il n'y a pas de bruit. Le feu est normal, avec l'apaisement nous le constatons. Il n'est pas devenu méfiant, il ne prépare pas quelque chose sur une quelconque autre position. Dans la Forêt, la route devient marécageuse. Il n'a pas plu ici depuis 8 jours, mais les routes sont détrempées et l'auto dérape comme un traîneau dans la boue. Des trous profonds et des entonnoirs d'obus. Une charrette nous croise, nous la laissons passer, arrivons dans le roulis, le chauffeur passe sur la seconde vitesse, et nous nous extrayons péniblement de la boue. Les arbres noirs bruissent, les étoiles brillent à travers les cimes. C'est beau, bien que ce soit le pire des chemins. Un village détruit. Des ombres surgissent. Une colonne sanitaire prête à prendre le pas. Sont-ils déjà en route ? Les troupes là-haut dans les tranchées sont encore en bonne santé et pleines d'entrain, mais ici, dans le matin gris, les hommes qui doivent les rejoindre et les secourir sont déjà sur pied. Nous éteignons les phares. Après que nous ayons traversé un second village en ruines, nous poursuivons à pieds. Lentement le jour se lève. Des nappes de brouillard glissent le long de la route. Des cuisines de campagne , des brancardiers, des réservistes. Nous montons. Par là le chemin a été rendu praticable et nous filons de tronc en tronc. L'écorce des troncs est râpée et broyée par les nombreuses roues et bottes qui montèrent et descendirent ici pendant des mois. Soudain, la Forêt devient plus claire. Le jour se lève. Le ravin s'élargit et devant nous s'élève une croupe criblée de balles et nue. Nous montons dans la première zone. La première zone, ce sont les tranchées, pour lesquelles nous avons lutté en hiver et au printemps. Les hauts arbres sont déchiquetés jusqu'aux racines, mais le sous-bois reverdit. Cette zone a l'aspect d'un vignoble, d'une plantation de houblons. Des tranchées, des décombres, des entonnoirs d'obus. Puis se trouve la seconde zone, la colline en elle-même. A quoi ressemble-t-elle ? Surnaturelle, sans comparaisons ! Elle fait penser à un océan sauvage et excité avec de fâcheuses vagues compactes, une mer sauvage comme une tempête. Mais cette mer est de boue et figée soudain en une seconde. C'est à cela et à rien d'autre que ressemble la colline. Des vagues, des pointes, des cratères, des gouffres. La mer figée s'étend sur les hauteurs. Des chênes fracassés, des souches déchirées. Pas une tige verte, pas une feuille, rien d'autre que de la boue et des décombres. C'est la pire des désolations et la pire des horreurs que l'imagination puisse concevoir. Des entonnoirs et des entonnoirs, profonds et larges de plusieurs mètres. Cela sent le cadavre et d'horribles choses. Des morceaux de corps humains sortent de la croûte de boue, des lambeaux d'étoffe, de la vaisselle en fer-blanc jonchent les trous. C'est le terrible chemin vers les hauteurs, que les vaillants combattants de l'Argonne conquirent pas à pas au cours de longs mois. Chaque entonnoir a été combattu furieusement, chaque pouce de terrain a ses horreurs, ses frayeurs, son héroïsme. Des milliers se sont fait ensevelir par cette vague de boue figée, camarades et ennemis. Maintenant ils se sont tu. Auparavant, cette contrée sauvage portait des noms. C'était les fameux ouvrages Central, Cimetière, Bagatelle, qui avaient été pris en juin et juillet. Le soleil s'élève rouge et brûlant au dessus de la mortelle mer de boue, figée dans sa plus haute sauvagerie. Des obus labourent l'air en se lamentant, les points de chute craquent. Un canon lourd allemand fait feu. La décharge retentit lourdement et de façon éloignée, comme si le canon appartenait à une autre partie du front. Mais les obus frémissent puissamment sur nous et quelques secondes plus tard, la colline craque dans un bruit de tonnerre. Le canon lourd tira trois obus puis se tu. Mais d'autres canons tiraient. Un obus chante à deux voix à travers l'air, un pétard à raquette. Des balles perdues bourdonnent au-dessus de la colline de boue, une mitrailleuse aboie d'une voix rauque, les fusils font feu. Soudain, toute une horde d'obus ennemis traverse l'air en sifflant, l'un derrière l'autre, à une vitesse insensée. Puis ils claquent, une fois, deux fois, et la terre vibre. Le français lance de lourdes mines volantes. C'est l'activité habituelle du matin, un feu normal. Tout va bien. Les soldats arrivent des cuisines de l'arrière à travers les étroites tranchées d'approche taillées profondément. Deux d'entre eux portent toujours une lourde marmite en fer accrochée à une perche posée sur les épaules. " Vous amenez le café ? ". " Non, de la soupe, aujourd'hui il faut manger plus tôt ". Oui, aujourd'hui est un jour particulier ! Le soleil rayonne et aveugle. Pour la première fois je rencontre du beau temps dans la Forêt d'Argonne, mais les parois des tranchées répandent un froid glacial. Dans les tranchées du dessus, sur le " Eselnase " (= toponyme), tout est déjà réveillé. Tout d'abord survinrent les würtembourgeois, puis les prussiens. Dehors, à 50 mètres, se tient l'ouvrage Marie Thérèse, derrière un réseau de fils de fer barbelés. Un voile de fumée bleue se tient au-dessus, la fumée des obus et des mines de " l'activité matinale ". Des obus geignent, se lamentent et frappent en craquant. Les lourdes mines volantes ennemies craquent comme des maisons s'écroulant. Les sentinelles sont aux créneaux, les mitrailleuses épient. Grenades à manche, Minenwerfers avec des munitions, tout est prêt. Les fils de cuivre sont installés dans une sape : à 11h00 la mine doit voler en l'air ! Partout, on est affairé, dans le silence, car on a le temps. Les marches pour sortir sont creusées, les échelles d'assaut fixées. Les combattants de l'Argonne sont graves et pensifs, plus graves que d'ordinaire., car ils savent ce que signifie ce jour pour eux. Si on leur adresse la parole, ils se déchirent entre eux, leurs yeux sembles décidés et audacieux. " Faites bien votre paquetage aujourd'hui ! . Il ne doit rien vous manquer ! " Les officiers sortent de leurs abris et nous saluent. Capitaines, Lieutenants, ils sont confiants et vigoureux. Ils nous donnent des conseils d'attaque. Ils nous mettent en garde contre quelques mauvais coins, nous indiquent où jeter les grenades, nous mettent en garde mais hélas, quelques heures plus tard des hommes sont déjà morts ! Nous poursuivons. Une mine lourde explose aux alentours avec un fracas terrible. L'un des hommes se met à creuse. La mine lui a jeté toute la terre de la tranchée. Soudain, il cesse de creuser ! Il est enseveli. Quelques hommes creusent. " Que se passe-t-il ? ". " Nos officiers viennent de se faire ensevelir ! " C'est avec frissons que je l'ai vu, c'est avec frissons que j'en parle. La mine avait complètement recouvert les tranchées. Dans un coin, non, à côté de moi, un mort était agenouillé, sa tête penchée sur la poitrine. Il ne ressemblait pas à un homme mort. Tête, visage et habits complètement recouverts de terre, il ressemblait à une statue d'un dormeur aux genoux serrés que l'on aurait déterrée. Tous, 3 officiers et 5 hommes, étaient tombés avant l'attaque sous le feu habituel du matin (j' appris plus tard que le commandant de compagnie, le Lieutenant v. R. Schlie s'était réuni avec les officiers de sa compagnie pour les dernières délibérations concernant l'offensive). Honneur à eux et honneur à lui, le petit dormeur calme et gris ! " Attention ! " Une mine arrive à travers l'air et explose derrière en craquant. Le chasseur à cheval dont les yeux sont aussi verts que son uniforme, examina si nous pouvions nous glisser au-dessus des tranchées éboulées. Mais cela était impossible. A 30 mètres de là, les fusils français guettaient. Il n'y avait plus le moindre couvert. Nous devions nous replier. Mais voilà maintenant toute une série de mines. L'ennemi avait observé le tir et lança des mines lourdes l'une après l'autre. Tantôt, nous devions esquiver à droite, tantôt à gauche. L'une tomba devant nous, non dans la tranchée, mais dehors, tout près, mais elle n'explosa pas. Dans de tels moments, on est totalement silencieux. On ne tremble pas et le cœur ne bat pas plus vite. On sait qu'on est totalement entre les mains du destin et que c'est terminé. Tout là haut, à travers le bleu du ciel, la mine volante s'élève. Elle ne semble pas plus grosse qu'un autour. Sa queue et ses ailes qui lui confèrent son vol tranquille, son clairement reconnaissables. Elle fonce à une allure folle, en une superbe courbe et semble merveilleuse. Nous nous arrêtons et la suivons du regard. Soudain, elle pique vers le bas comme un autour, devient chaque seconde de plus en plus grosse. Attention ! Sur le chemin du retour, dans d'étroites et sinueuses tranchées d'approche, nous rencontrons de nouveau les porteurs de soupes et nous nous serons contre la marmite. Tant qu'ils entendent la décharge sourde et invisible des minenwerfers, ils campent prudemment. Des colonnes de Feldgrau passaient devant nous équipés de fusils, de grenades et de masques à gaz. Certains traînaient de grands boucliers d'acier. L'un portait au fusil quelques paquets postaux. Les tranchées étaient combles. L'heure était de plus en plus proche... Nous traversons la mer de boue figée. Le feu matinal se calme. Le chasseur à cheval regarde l'heure. " Encore 5 minutes ! " Dans 5 minutes, il sera huit heures. Cela va commencer. A huit heures pile cela commença ! Dès la première seconde un canon de gros calibre fit feu et l'Argonne se mit à trembler. L'écho grondait dans les bois. Le canon lourd tira une salve fracassante. Pause. Puis cela commença de tout côté. Oui ! en tout point, les artilleurs se tenaient déjà prêts, brûlant d'envie de combattre. Les obus étaient déjà dans les affûts, les canons étaient pointés et à présent ils allaient pouvoir tout détruire ! L'enfer faisait rage, craquait, riait, cliquetait. Cela craquait, sifflait, mugissait, gargouillait dans l'air, cela cognait, trépignait, cela faisait du tapage et cela grognait. L'écho retentissait. Parfois cela résonnait comme si un géant furieux frappait avec un marteau sur un mur d'acier. Les artilleurs travaillaient comme des diables fous ! Les obus sifflaient spontanément dans les canons brûlants, l'un derrière les autres. Feu, chargez, feu, chargez ! La sueur coulait sur leur visage, mais ils aimaient cela. En haut, sur la gauche une batterie lourde faisait feu avec des tirs tellement violents que le sol en tremblait. Les obus mugissaient et résonnaient à travers l'air comme un train traversant un pont en fer. En haut, sur la droite, une batterie tonnait et les obus mugissaient en un sifflement, telle une locomotive expulsant sa vapeur. Sans une seconde de pause, les points d'impact explosaient et craquaient, car nous n'étions pas loin des tranchées. C'est l'enivrement et la fureur dans l'air, comme lorsque les avalanches dévalent les sommets. Parfois, des cris et des gémissements se font entendre des hauteurs comme si les hommes du démon s'étaient échappés et désespérés, se lamentaient. C'est le début. Ce feu devait durer trois heures, trois heures complètes, jusqu'à 11h00 ! Tout ceci n'est que l'ouverture des hostilités. Le jeu d'échec que le chasseur à cheval m'avait expliqué sur la carte hier soir avec toutes ses phases et ses détails, se transformait en une sanglante réalité. Mudra est en train de jouer ! C'est l'ouverture des hostilités de Mudra, et par Dieu, je préférerais ne pas jouer cette partie avec lui. L'attaque avait été soigneusement préparée pendant les dernières semaines. L'Infanterie, le Génie et l'Artillerie travaillèrent la main dans la main. Les minenwerfers avaient été montés, les canons placés, les munitions avaient été fournies, des postes d'observation favorables avaient été choisis et construits pour les directeurs de tir d'artillerie et de minenwerfers. La vue sur les flancs était assez bonne, mais on ne pouvait prendre connaissance du front principal où se trouvaient les positions ennemies qui se trouvaient sur les pentes des hauteurs et dans la Forêt. Les modifications des ouvrages ennemis, extension des tranchées, furent notés avec peine te au prix de grands dangers. Les canons et les minenwerfers devaient être détruits modestement au cours de la semaine pour ne pas éveiller les soupçons de l'ennemi. Personne ne devine quelle énorme peine exigeaient ces préparatifs. A présent chaque obus, chaque mine volante avait sa place, chaque canon avait son objectif de tir. Les tranchées ennemies, les ouvrages de terre, les blockhaus, les abris, les tranchées d'accès, les chemins, furent couverts d'un feu effroyable et systématique. L'ouverture des hostilités de Mudra est d'une précision terrifiante. Je regarde l'heure. Il est maintenant huit heures et douze minutes... Tout va bien sur la route, si on peut parler d'une route. C'est un lamentable chemin de rondins dans la Forêt. Tout à côté, accroché à la pente, se trouve le poste de secours. Médecins, brancardiers, ordonnances, boulangers de campagne et chauffeurs, tous se tenaient sur la route pour écouter et regarder la fusillade, bien qu'il n'y ait rien à voir. Cela mugit, gargouille et fend l'air, c'est tout. Tous sont dans un climat d'excitation et d'exaltation. Une symphonie de Beethoven est quelque chose d'autre, sans aucun doute, mais la fusillade avait quelque chose de plus enivrant ! C'est la musique des collines et de l'orage d'acier. A quoi cela ressemble-t-il là-haut dans les tranchées d'où je viens ? Observateurs d'Artillerie et sentinelles baissaient la tête derrière les parapets tellement les obus frappaient. Dans des abris profonds qui tremblaient sous les impacts des obus, se blottissent les sections d'assaut. A quoi ressemblait Marie Thérèse ? Le voile de brume s'était transformé en un épais mur de fumée gris-jaune. Les fontaines et les décombres couraient le long des hauteurs et dévalaient vers le bas en écrasant les arbres sur leur passage. On ne voyait rien de vivant. Il est 8h30. Un avion allemand bourdonne au dessus de la Forêt afin de guider le feu des mortiers lourds. Le Français répond. Il a reçu le feu depuis 7 minutes, mais il n'a répondu que lentement. Il fait feu de façon embrouillée. Les fils téléphoniques sont déchiquetés. Les batteries attendent les ordres. C'est une situation misérable. L'ouverture des hostilités de Mudra était inattendue et terrible. Ce n'est qu'à partir de 8h30 que le système fut sous le feu français. A présent ses positions se mettent à mugir par ici. Il lance une quantité monstrueuse de munitions sur les tranchées et les croupes et le bruit fait rage avec deux fois plus de violence. Aux alentours des emplacements des unités, je rencontre le Général de Division Graf v. Pfeil. Le Général se tenait sous les mugissements des obus, impassible et calme, comme si il était chez lui. Et pourtant, à chaque instant un obus pouvait exploser et les éclats voler. L'obus est aveugle et n'a aucune respect pour les galons. " C'est l'Enfer ; " s'exclame le Général de Division, d'un ton étonné et plaintif. Oui, en effet, je n'arrive pas à me faire une représentation d'un temps de paix et d'un monde